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14 juin 2013

Serious game "SecretCAM handicap" - 18 - Conclusion de l'étude ethnographique sur les usages du jeu en entreprise

"SecretCAM handicap" est un serious game conçu et réalisé par le Cnam Pays de la Loire, en partenariat avec 18 partenaires. Le jeu a également fait l'objet d'une recherche action menée par François Calvez (également chef de projet de création de ce jeu) sur la conception et les effets de ce serious game éducatif sur les salariés. Cette publication fait partie d'une série d'articles relatifs aux résultats de cette recherche.

voir article précédent : http://cnam-numerique-pdl.typepad.fr/numerique/2013/05/serious-game-secretcam-handicap-17-le-serious-game-comme-catalyseur-du-dialogue-interpersonnel-spont.html
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

Par François Calvez - Directeur Tice - Cnam Pays de la Loire

Ma question de recherche visait à répondre à la question : « Le recours à un dispositif ludoéducatif numérique, de type serious game vidéo, est-il pertinent en termes d’apprentissage et de création de débats interpersonnels dans les organisations, pour changer le regard et faire évoluer les représentations sociales des salariés sur le handicap en milieu professionnel ordinaire ? »

La création d’un jeu sérieux en vidéo en caméra subjective, en première personne, véritable jeu dont le joueur est le héros, lui permettant de se confronter à ses propres représentations du handicap en entreprise, était une grande première. De même, en toute humilité, l’étude des usages et des effets d’un serious game sur le comportement des salariés face au handicap n’avait pas eu cours jusqu’à présent, qui plus est en grandeur nature.
La diffusion du serious game « SecretCAM handicap » au sein d’un même service a mis en exergue le rôle que peut jouer l’environnement de travail proche comme facteur d’émulation collective à jouer à un jeu sérieux sur le thème du handicap. Les salariés de nature joueuse ont su susciter la curiosité de leurs collègues « non joueurs » et ainsi, provoquer une expérience de jeu volontaire en dehors de toute injonction à jouer provenant de la direction.
L’usage du théâtre forum comme outil de genèse d’un scénario de jeu vidéo à partir de situations réellement vécues, permet de proposer aux joueurs une expérience de jeu authentique au plus proche de la réalité (Sanchez & al. 2011). Le recours à la vidéo et à la caméra subjective semble renforcer ce sentiment de vivre une réalité simulée, permettant ainsi à certains joueurs de convoquer un registre émotionnel notamment lorsque des scènes ont une référence dans leur réalité professionnelle ou personnelle. Ces éléments semblent forger les conditions préalables à une expérience immersive qui, associés à une mécanique de jeu combinant le scénario du jeu et le scénario pédagogique, permet à certains joueurs d’opérer à une véritable prise de conscience quant à leur rapport au handicap. Le jeu favorise, par la confrontation de leurs schèmes de pensée avec ceux convoqués dans le jeu, un processus d’accommodation (Piaget, 1967) conduisant à une évolution de leurs représentations sociales et professionnelles du handicap, et présupposant une « actualisation » (Tisseron, 2012) de leurs futurs comportements envers des collègues en situation de handicap. Pour d’autres, le défi ludique l’emporte sur l’expérience pédagogique et sur la finalité du jeu. Par ailleurs, l’expérience de jeu génère ensuite chez certains la volonté d’échanger spontanément avec leurs collègues tout d’abord sur leurs résultats de jeu, pour finalement en venir à discuter du thème du handicap. Cela met en exergue « le pouvoir » que peuvent exercer les usages des technologies numériques immersives sur les interactions spontanées post expérience de jeu entre collègues proches d’un même service. Pour autant, ces échanges restent encore trop superficiels, le temps faisant défaut. Aussi, si un dispositif formel, de formation ou d’une autre forme, n’est pas organisé par la direction, la finalité productiviste de l’entreprise ne fait pas de celle-ci un lieu favorable aux échanges interpersonnels approfondis entre salariés post expérience de jeu. Le débriefing final manque pour poursuivre le débat et permettre à ceux, pour qui l’expérience n’a pas révélé de questionnements explicites, de les conscientiser si nécessaire.
Mais, et ce point peut élargir le débat, l’idée d’échanges spontanés « pris en charge par les salariés » ne conforte-t-elle pas, en quelque sorte, le mode de management actuel des organisations selon lequel le salarié doit « être responsable de son travail », « être acteur de son parcours professionnel », « être responsable de son employabilité », « être responsable de sa formation ». Cela pose la question de l’apprentissage informel et « non formel » au sein des organisations et celle de la responsabilité de l’employeur dans le développement de ses salariés. D’ailleurs, Bourdieu, cité par Olivier Bataille, s’exprimait ainsi : « l’auto-reconnaissance des apprentissages professionnels informels ne saurait occulter la responsabilité et les influences de l’employeur dans le développement de ses employés, ni celle de la collectivité éducative dans ses modalités et finalités de transmission de savoirs et de reproduction sociale » (Bourdieu, 1970, cité par Bataille, 2007) » .
Toujours est-il que le « débriefing final » semble donc essentiel pour que les salariés confrontent socialement leurs idées et opèrent ainsi à un travail de distanciation pour conscientiser leurs acquis.
Preuve en est les échanges collectifs suite aux observations participantes en mini groupes que j’ai pu mener. Ils ont permis de libérer la parole de manière significative sur la représentation personnelle du handicap en entreprise. Le serious game en était le catalyseur. Il a permis également à des personnes, dont le handicap physique non visible était inconnu de leurs collègues, de donner leur représentation controversée du handicap en entreprise tout en restant « voilées ». Des échanges prolongés auraient même peut-être engendré des « coming out » par le truchement de ce que Pascal Plantard nomme le « pouvoir de dévoilement » des usages des technologies, en provoquant « un changement intérieur déclenché par des émotions pas toujours contrôlables » (Plantard, 2011, p.26).
Ainsi, s’il ne peut se faire spontanément de manière conséquente, le débriefing doit être organisé. Et le jeu sérieux prenant « toute sa dimension pédagogique lorsqu’il est articulé avec du présentiel » (Ludovic Noël, directeur du pôle de compétitivité Imaginove, interviewé par Alvarez et Djaouti, 2010, p.184) ne devrait pas être utilisé comme un outil d’autoformation, mais comme un élément d’un dispositif d’apprentissage plus global multi-acteurs, combinant expérience individuelle, échange collectif en présentiel avec médiation d’un expert.
Mais si de plus en plus d’entreprises s’engagent dans une démarche handi-accueillante, motivées entre autres par des raisons financières, sont-elles prêtes à investir dans la formation des collaborateurs à l’intégration du handicap ? Sensibiliser, oui, mais former ? Et l’apprentissage par le jeu au travail ne se heurterait-il pas à une contradiction socio-institutionnelle, culturelle, l’entreprise étant avant tout un lieu dont une des finalités est la productivité ?
En tout état de cause, un dispositif formel semble nécessaire pour faire véritablement avancer la question du handicap au travail, par un processus de ce que j'appelle une « boucle d’apprenance » (selon le terme d'apprenance de Philippe Caré, 2010), en trois étapes, qui n’a pu cependant être observé en totalité mais dont je formule l’hypothèse d’existence : étape 1 : expérience de jeu individuelle pour confronter ses schèmes de pensée avec ceux du jeu ; Etape 2 : échanges collectifs pour partager les expériences et les représentations du handicap ; Etape 3 : transformation des représentations, du jugement social et donc des comportements collectifs en entreprise. Une observation plus approfondie, plus étalée dans le temps et peut-être dans un contexte différent, pourrait permettre de poursuivre plus précisément l’étude de cette boucle d’apprenance.
Sans dispositif formel, le risque est que seuls soient touchés les salariés les plus ouverts d’esprit. Pour illustrer ce dernier propos, je finirai sur le commentaire anonyme exprimé dans une question ouverte du questionnaire par un salarié en situation de handicap, qui pose également dans un certain sens les limites de mon étude : « j’aurais souhaité que le jeu transmis par notre service RH fasse évoluer la mentalité de certains collègues, mais apparemment, ceux-là n'ont pas fait le jeu ».

Afin d’ouvrir à nouveau la réflexion, j’évoquerai l’idée selon laquelle il aurait été intéressant de pouvoir comparer les effets de l’usage du serious game « SecretCAM handicap » avec ceux provoqués par d’autres médias non numériques telle que la bande dessinée par exemple.
Cette question devait être étudiée puisqu’une BD sur le handicap au travail avait déjà fait l’objet d’une diffusion interne auprès des salariés d’un des partenaires du projet. Malheureusement, le serious game n’a pas encore été diffusé dans cette entreprise.
Cependant, l’ensemble des outils de recueil automatique de données sont toujours opérationnels via le Web (remontée automatique des questionnaires, observation des parcours individuels de jeu), et la diffusion ne saurait tarder dans cette société. Aussi, il sera toujours possible de poursuivre la recherche.
D’autant plus que ma réflexion n’est pas terminée, le serious game ludoéducatif n’ayant pas encore livré tous ses secrets. Des actions de formation en entreprises en présentiel intégrant le serious game  « SecretCAM handicap » vont démarrer très prochainement, ce qui permettra de poursuivre les observations et l’analyse ainsi que de se questionner sur la relation pédagogique entre apprenants et formateur dans un contexte d’usage d’un serious game.

En accès libre sur le Web, après avoir été identifié en premier lieu par la communauté du handicap, puis celle du serious game, le jeu sérieux « SecretCAM handicap » semble l’être désormais auprès de la communauté éducative. Des enseignants l’utilisent même en cours de Management avec leurs élèves.
Car ne l’oublions pas, l’objectif de la diffusion libre de « SecretCAM handicap » sur Internet est bien de sensibiliser le plus grand nombre de citoyen(ne)s et de salariés d’aujourd’hui et de demain. Ceci pour que l’expérience de jeu puisse si possible ouvrir les yeux du monde de l’entreprise sur le fait que le travail est aussi une forme de lien social auquel les personnes en situation de handicap ont également droit. A ce propos, les derniers mots de mon mémoire sont ceux d’un second commentaire libre et anonyme laissé par une personne handicapée dans le questionnaire diffusé suite à l’expérience de jeu.
« Le travail est un tel lien social, surtout lorsque les collègues et le management sont au top, qu'il peut devenir un plaisir malgré les contraintes physiques, voire morales, liées aux pathologies ».

Merci de votre lecture.

François Calvez - Directeur Pôle Tice - Cnam Pays de la Loire

 

Bibliographie et webographie de cet article :

  • Alvarez, J., Djaouti, D., ouvrage, Introduction au Serious Game, Editions Questions théoriques, 2010.
  • Bataille, O., publication, Espaces de formation et individualisation des parcours professionnels et de formation tout au long de la vie en Europe et en Amérique latine, Colloque international REDFORD, 27-29 mars 2007, Université Paris XII-France, 2007 :http://www.redford-international.org/articles/colloque2007/Obataille.pdf
  • Carré, P., ouvrage, L’Apprenance, vers un nouveau rapport au savoir, Editions Dunod, Paris, 2005.
  • Piaget, J., ouvrage, La construction du réel chez l’enfant, Editions Delachaux et Niestlé, Neuchatel, 1967.
  • Plantard, P., ouvrage, Pour en finir avec la fracture numérique, Editions Fyp, Limoges, 2011.
  • Sanchez, E., Ney, M., Labat, J.M., publication, « Jeux sérieux et pédagogie universitaire : de la conception à l’évaluation des apprentissages », Revue Internationale des Technologies en Pédagogie Universitaire, volume 8, (1-2), pp. 48-57, 2011 : http://www.ritpu.org/IMG/pdf/RITPU_v08_n01-02_48.pdf
  • Tisseron, S., ouvrage, Rêver, fantasmer, virtualiser - Du réel psychique au virtuel numérique, Editions Dunod, Paris, 2012.

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