52 notes dans la catégorie "1 - Formation"

21 janvier 2013

Serious game « SecretCAM handicap » - 10 : « La prescription entre collègues : un facteur d’émulation collective à jouer dans un même service »

Par François Calvez
Voir article précédent : « Jeu au travail – jeu à domicile : paradoxe et iniquité ».
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

1 pers ordiEn m’appuyant sur l’analyse de l’ensemble des matériaux empiriques recueillis (Cf. article 2), je cherche à interroger la première étape de la boucle d’apprenance relative à ma question de recherche (Cf. article 7) et donc, l’hypothèse selon laquelle le caractère immersif d’un serious game dans une réalité simulée au plus proche du réel, participerait à un processus de convocation d’un registre émotionnel favorable à la construction de nouveaux schèmes de pensée et donc à l’activité d’apprentissage.

Cependant, cela suppose tout d’abord une expérience de jeu effective. Aussi, il s‘agit dans cette article de relater mes observations sur ce qui a motivé les salariés d’une organisation à jouer individuellement à un serious game, alors même que 53,3% de ceux qui ont effectivement joué se disent en général non joueurs.

Je rappelle que le protocole d’expérimentation préconisé définit une diffusion du jeu auprès de collègues de mêmes services dans une organisation, en dehors de tout dispositif formel de formation, et une expérience de jeu sur temps de travail sur la base du volontariat.
A noter également que tous les prénoms des salariés cités, issus de différentes structures, ont été changés afin de préserver leur anonymat.

Actions de jeu : trois typologies de joueurs

S’agissant des apprentissages informels professionnels, dans une publication suite au colloque international REDFORD, Olivier Bataille (Bataille, 2007)1, s’appuie sur la théorie sociocognitive de Bandura pour mettre en exergue le rôle des interactions entre les facteurs personnels de type cognitif, les facteurs comportementaux et ceux relatifs à l’environnement, pour identifier trois dimensions d’apprentissage informels : à savoir la personne qui apprend pour elle-même, l’apprentissage fruit d’une volonté de mise en conformité avec l’environnement et la réponse à l’injonction d’apprendre.
Dans le cas de l’expérimentation sur le serious game « SecretCAM handicap », nous pourrions retrouver à différents degrés les trois dimensions évoquées par Olivier Bataille. Certains salariés semblent avoir joué spontanément pour eux-mêmes, ce sont ceux de la catégorie « se disent joueurs en général ». Ceux qui « se disent non joueurs en général » semblent avoir répondu à un contexte professionnel. D’autres, en très faible proportion puisque la proposition de jeu était généralement basée sur le volontariat, ont répondu à une injonction de jouer de la part de leur direction.

Plus précisément, le rapport entre individu, groupe et environnement, a-t-il eu un effet sur la motivation à jouer ?

La motivation à découvrir le jeu : la curiosité envers le concept de jeu sérieux de ceux qui se disent joueurs

Dans son ouvrage « Les jeux  et les hommes », Roger Caillois avance l’idée selon laquelle « un jeu auquel on se retrouverait forcé de participer cesserait aussitôt d’être un jeu : il deviendrait une contrainte, une corvée dont on aurait hâte d’être délivrée » (Caillois, 1958, p.36)2. Le jeu en tant qu’activité sociale associée à la liberté individuelle de choix d’action de jeu, de temps de jeu, de lieu d’expression du jeu, conditions a priori nécessaires à l’émergence du sentiment de plaisir de jeu, est-il compatible avec la notion de mise à disposition d’un jeu par un employeur à des fins de sensibilisation et de formation. Même si la prescription obligatoire de la hiérarchie n’a que peu officiée, s’agissant d’une mise à disposition dans un environnement professionnel, ne s’agirait-il pas au final d’une forme d’injonction paradoxale de type « jouez et sensibilisez-vous ! », « jouez et formez-vous ! ».
Alors. Qu’est-ce qui a incité les salariés à jouer ?
Si l’intérêt pour la question du handicap au travail semble avoir officié, la motivation première à jouer au jeu est sans conteste la curiosité envers le concept de jeu sérieux. Le terme de serious game était inconnu pour bon nombre de salariés et seuls 17,9% des répondants au questionnaire ont exprimé avoir déjà joué à un jeu sérieux.
Cependant, la curiosité en tant que facteur déclencheur de l’activité de jeu, ne s’est pas manifestée au même moment pour tous les salariés. En premier lieu, ont joué les personnes se déclarant en général comme joueuses, pas forcément de jeux vidéo d’ailleurs. Parmi celles-ci on trouve un peu toutes les catégories socioprofessionnelles, autant des personnels de services RH, des cadres managers d’équipe (personnes dont la fonction dans l’entreprise pouvait susciter a priori un intérêt particulier pour la thématique du jeu), que des employés et des techniciens, ou encore des personnes dont le métier est en rapport avec l’insertion des personnes handicapées en entreprise.
Voici quelques exemples issus des entretiens qui illustrent la curiosité de ceux qui se disent joueurs, en réponse à la question « quand vous êtes allé(e) jouer au jeu, vous y êtes allé(e) pourquoi et dans quel état d’esprit ? »

« Je ne connaissais pas les serious games et ai très peu été sensibilisée au handicap. Du coup, c’était deux découvertes pour moi. J’étais intriguée, curieuse. Comme je vous l’ai dit je suis joueuse, donc ça m’intriguait, j’avais envie de voir à quoi cela ressemblait…c’était vraiment la découverte totale ». (Mathilde, 31 ans, employée service RH, se dit joueuse mais pas sur jeux vidéo).

« Je suis allée pour jouer. Ça m’intéressait l’aspect jeu. Et puis pour voir ce que pouvait signifier le « serious » dans serious game ? Comment ça pouvait être appliqué au handicap quoi ? ». (Margueritte, 32 ans, employée, se dit joueuse mais très peu sur jeu vidéo).

« Je suis allé jouer avec beaucoup de curiosité. Je n’avais pas d’attentes particulières je pense, mais c’était vraiment pour découvrir ce jeu-là, ce type de jeu » (Bernard, 30 ans, employé secteur handicap, se dit joueur mais pas sur jeux vidéo).

« Je suis joueur de jeux vidéo, donc ça m’intéressait. J’avais beaucoup de curiosité technique et pédagogique, parce que mon métier à la base c’est le rapport à l’humain dans un contexte d’apprentissage. Et puis aussi le point de vue managérial. Ça ne fait que six mois que je me retrouve manager d’une équipe, donc dans une posture nouvelle. Il y a un lien direct avec mon travail au quotidien, je comptais apprendre des choses. Du coup c’était une vraie curiosité sur ces trois objets - serious game, apprentissage, management du handicap au travail ». (Jacques, 38 ans, cadre manager, se dit joueur de jeux vidéo).

Le fait de recourir à un serious game pour traiter la question du handicap au travail, a suscité la curiosité de ceux qui se disent être de nature joueuse.

Qu’en est-il de ceux qui ne sont en général pas joueurs dans la vie et qui, pour autant, se sont laissé tenter par l’expérience de jeu ?

La motivation à jouer des « non joueurs » : l’environnement de travail proche comme facteur d’émulation collective

3 pers ordi
Pour les individus se déclarant généralement « non joueurs », le jeu mis à disposition n’a a priori pas fait l’objet d’une attention particulière en première instance. Par contre, et c’est un point très intéressant à observer, l’environnement professionnel proche semble avoir joué un rôle de prescription, d’émulation à se lancer dans l’expérience de jeu sous l’impulsion des collègues « joueurs », comme en témoignent les extraits d’entretiens.

«  Au début il n’y avait pas beaucoup de monde à jouer. Je suis revenue en disant, c’est super bien, je me suis bien amusée, j’ai fait un score ! Et du coup sur les dix personnes du service, quasiment tout le monde l’a fait dans les trois jours qui ont suivi. Et puis après on comparait les scores » (Margueritte, employée, se dit joueuse mais très peu sur jeu vidéo).

« J’ai joué parce que mes collègues l’avaient fait et n’arrêtaient pas d’en parler. C’est vrai que spontanément, je ne l’aurais peut-être pas fait » (Jeanne, moins de 30 ans, employée, se dit non joueuse).

Si nous n’en sommes pas encore ici à étudier le serious game en tant que catalyseur d’un échange interpersonnel sur la question du handicap, ces commentaires nous indiquent d’ores et déjà que le jeu sérieux proposé dans un environnement professionnel serait un réel vecteur contagieux de mobilisation des salariés autour d’une thématique, la prescription entre collègues étant un facteur d’émulation collective à jouer dans un même service.

Ces observations viennent quelque peu interroger un élément de la définition du jeu de Roger Caillois lorsqu’il le définissait comme « essentiellement une occupation séparée de la vie courante, soigneusement isolée du reste de l’existence » (Caillois, 1958, p.37). En effet, jouer au travail semble possible pour les salariés.

Le prochain article, onzième de la série, s’intitule : « Un serious game sur le handicap à base de vidéos : un choix anthropologique majeur facteur d’immersion et d'identification ».
Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]
Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.

Notes et bibliographie :

1 Bataille, Olivier, publication, Espaces de formation et individualisation des parcours professionnels et de formation tout au long de la vie en Europe et en Amérique latine, Colloque international REDFORD, 27-29 mars 2007, Université Paris XII-France, 2007 :
http://www.redford-international.org/articles/colloque2007/Obataille.pdf
2 Caillois, Roger, ouvrage, Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Editions Gallimard, collection folio essais, 1967 (1ère édition 1958).

Crédits photo : Cnam Service Images et sons

 

14 janvier 2013

Serious game « SecretCAM handicap » - 9 : « Jeu au travail – jeu à domicile : paradoxe et iniquité »

Par François Calvez
Voir article précédent : « Entreprise, jeu et productivité : l’injonction paradoxale du jeu prescrit–interdit ».
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

145974_9617Jouer à un serious game au travail suppose l’accès à un ordinateur. Or, suivant le métier et la fonction exercés, les salariés n’en sont pas tous dotés.
Pour autant, la sensibilisation à l’intégration et au maintien dans l’emploi des travailleurs en situation de handicap concerne l’ensemble des salariés d’une organisation, autant les personnels encadrants que les collègues proches, toutes fonctions confondues.
Ceci d’autant plus que l’atteinte du quota de 6% d’emploi de salariés handicapés se traduit, non seulement par une politique d’embauche, mais souvent aussi par une sensibilisation interne visant à inciter les salariés non déclarés et souffrant d’un handicap à se déclarer RQTH (reconnaissance en qualité de travailleur handicapé), y compris, et peut-être surtout, ceux dont la pénibilité du travail est reconnue.

Se pose alors la question légitime de l’accès et de l’équité dans l’accès à un serious game mis à disposition des salariés d’une même entreprise, notamment pour les techniciens, les ouvriers travaillant sur les chantiers.
Malgré le protocole que je préconisais en termes d'expérimentation et qui prévoyait une expérience de jeu sur lieu professionel (afin d'observer les effets du jeu sur les relations interpersonnelles), la solution retenue par les entreprises concernées par cette problématique a consisté à proposer aux salariés non équipés d’un ordinateur sur leur poste de travail, de jouer depuis leur domicile, donc hors temps de travail et bien évidemment sur la base du volontariat. Cette solution semble être effectivement la plus opérante et la plus simple à mettre en œuvre pour toucher cette catégorie de personnels. Elle n’est pas cependant sans soulever quelques réflexions.
Le métier conditionne donc les conditions de l’expérience de jeu, réalisée soit sur temps de travail depuis son ordinateur professionnel (lorsque le salarié en est doté), ce qui relève donc d’une activité rémunérée ; soit sur temps personnel depuis son ordinateur domestique à condition d’en disposer, activité non rétribuée.

Cette observation met en évidence une tendance actuelle de notre société et du management des organisations, à gommer les frontières entre temps professionnel et temps personnel du fait de l’introduction des outils numériques dans les pratiques professionnelles. Souvent, cette situation est observée chez les cadres qui « ramènent » du travail à domicile, pouvant se connecter à tout moment depuis leur Smartphone ou de n’importe quel ordinateur à leur messagerie professionnelle ou à leurs dossiers professionnels.
Le paradoxe dans ce cas, c’est que la proposition de jeu à domicile touche une catégorie professionnelle de salariés, les techniciens et les ouvriers, dont le statut et le métier ne les confrontent habituellement pas à cette situation.

En termes d’observation des pratiques, la population ayant joué à domicile n’est pas assez significative pour en tirer des conclusions (13,9% des 173 répondants au questionnaire) et globalement le protocole de l'expérimentation n'a donc pas été affecté. Toujours est-il qu'une tendance semble conforter les pratiques habituelles selon les catégories socioprofessionnelles. En effet, les cadres restent majoritaires à avoir joué à domicile en pourcentage de leur catégorie (29% d’entre eux), et ce malgré leur possibilité de jouer sur temps de travail. Les employés, majoritaires dans la population observée et équipés d’ordinateur sur leur lieu de travail ne sont que 13,7% à avoir joué à domicile. Les techniciens, quant à eux, sont sous représentés parmi la population ayant répondu au questionnaire. Ils sont très peu à avoir joué à domicile, ceux ayant joué étant équipés d’ordinateurs sur lieu de travail.
Il aurait été intéressant de connaître les pratiques des 672 salariés joueurs du serious game « SecretCAM handicap » dans le cadre de cette expérimentation. Tous n’ont pas répondu au questionnaire. L’analyse de cette question sera creusée dans un avenir proche puisque le concept de « SecretCAM » s’inscrit dans une série de quatre serious games thématiques, faisant tous l’objet d’une analyse des usages et des effets du jeu sur les représentations et comportements.

Une autre réflexion conduit à se poser la question du choix des directions des organisations à proposer une expérience de jeu à domicile alors même que l’ensemble des salariés sont dotés d’un ordinateur professionnel. Est-ce parce qu’il s’agit d’un jeu, même sérieux ? La proposition aurait-elle été formulée dans le cas d’un module e-learning plus classique ? Où est-ce conditionné à la problématique sociétale du handicap qui concernerait plus le citoyen que le salarié ?
Lors de la mise en œuvre de l’expérimentation, l’invocation du salarié-citoyen pour justifier une expérience de jeu à domicile fut évoquée par une entreprise dont la politique handicap n’était pas clairement affirmée. Le service Ressources Humaines craignait de se mettre en « porte-à-faux » face à ses salariés, en procédant à une action « officielle » de sensibilisation interne au handicap, alors même que l’entreprise n’a pas encore de politique clairement affirmée en la matière, même si son taux d’obligation d’emploi de personnes handicapées est supérieur à la moyenne nationale constatée. Une sensibilisation de type citoyenne par une proposition d’expérience de jeu à domicile fut proposée, avec une liberté de jeu sur le temps de travail selon l’accord des managers de proximité.
Dans d’autres structures, ce sont des données techniques internes compliquant l’accès au serious game qui sont à l’origine d’une proposition d’expérience de jeu à domicile.

Quoi qu’il en soit, pour étudier les effets d’un serious game, l’expérience de jeu doit bien avoir lieu. De plus, elle doit avoir lieu sur le lieu de travail, selon le protocole que j’avais proposé, de manière à pouvoir observer si les expériences de jeu suscitent des échanges interpersonnels spontanés entre collègues d’un même service.
Si le contexte de mise à disposition du jeu est un facteur de l’accès, la question de la motivation des salariés à aller jouer à un jeu mis à disposition sur la base du volontariat, en dehors de tout dispositif formel de formation, se pose également.
C’est ce que nous verrons dans le dixième article de la série intitulé : « La prescription entre collègues : un facteur d’émulation collective à jouer dans un même service ».

Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]
Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.

07 janvier 2013

Serious game « SecretCAM handicap » - 8 : « Entreprise, jeu et productivité : l’injonction paradoxale du jeu prescrit-interdit »

Par François Calvez
Voir article précédent : « Effets du serious game sur les salariés : l’hypothèse de l’existence d’une boucle d’apprenance ».
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

S’agissant de l’usage d’un serious game dans un contexte professionnel, il convient de regarder de plus près ce contexte particulier de diffusion de l’expérience de jeu. Salariés autour ordi
Comme le souligne Olivier Mauco, doctorant dont les travaux sont relatifs aux serious games politiques (thèse sur l’idéologie dans les jeux vidéo), « étudier les contenus des jeux sérieux sans analyser le contexte de leur production et de leur diffusion n’a que peu de sens » (Mauco, 2011)1, le contexte de diffusion pouvant en effet impacter l’usage du jeu.

Je souhaite faire part ici d’une réflexion émergée de la conduite du projet de création du serious game « SecretCAM handicap ». Malgré l’engouement de grandes entreprises françaises pour les jeux sérieux, l’apprentissage par le jeu au travail ne se heurterait-il pas tout de même à une contradiction socio-institutionnelle ? « Socio » dans le sens où l’apprentissage par le jeu se réfère à des individus en tant que personnes en situation de travail et dotés de leurs propres représentations sociales du jeu. « Institutionnelle » dans le sens où le jeu est proposé par l’entreprise, en tant qu’entité porteuse de contraintes économiques et de modes d’organisation du travail induisant des contradictions potentielles entre temps productifs et temps de jeu.

Cette réflexion a émergé notamment avec les échanges entre partenaires du projet sur la question de la durée du jeu lors de l’étape de sa diffusion dans les entreprises.
En effet, au démarrage du projet le temps prévisionnel de l’expérience de jeu était estimé à 20 minutes. Après rédaction du scénario et tournage des scènes avec les comédiens, il s’avère que ce temps est d’environ 40 minutes. Outre le jeu d’acteur dont l’expression dramaturgique a pris plus de temps que sur le papier dans notre cas, le joueur prend, quant à lui, le temps de la réflexion avant d’agir dans le jeu. Nous avions initialement sous-estimé ces temps.
Aussi, bien qu’il s’agisse d’un casual game, c'est-à-dire un jeu simple auquel on ne joue généralement qu’une seule fois, l’annonce du doublement de la durée de jeu a suscité chez certains partenaires la crainte légitime de voir leurs salariés ne pas aller jusqu’au bout du jeu.
A postériori, l’outil informatique d’observation anonyme des parcours individuels de jeu que nous avons développé, nous indique que près de 60% des 672 salariés ayant joué au serious game dans le cadre de l’expérimentation – dans la majorité des cas, rappelons-le, sur la base du volontariat - sont allés jusqu’au terme du jeu. De plus, parmi les 173 questionnaires remontés (Cf. article 2 « le cadre du retour d’expérience), 94,6% des répondants déclarent être allés jusqu’au bout. Pourtant, à la question relative à la durée du jeu, seulement 47,3% l’ont trouvé correcte voire trop courte (pour 3,5% d’entre eux), 44,3% l’ayant estimée tout de même un peu longue, et 8,4% l’ayant perçue comme trop longue. Pour les salariés, la durée de « SecretCAM handicap » ne semble donc pas être une condition de motivation à aller jusqu’au bout du jeu.

D’autres éléments ne seraient-ils pas sous-jacents à vouloir une réduction du temps du jeu ? C’est dans le débat qu’ils ont émergé :
- A été exprimée la crainte de voir des salariés jouer plusieurs fois à un jeu de 40 minutes, sans possibilité de contrôle du temps par l’employeur. En effet, contrairement aux modules e-learning plus classiques beaucoup plus linéaires accompagnant les apprenants d’un point A à un point B, les principes de rétroaction et d’apprentissage par essai erreur dans un serious game de type éducatif rend l’expérience de jeu beaucoup moins prévisible pour ce qui est de la gestion du temps.
- A été également formulée la crainte que les Jokers allongent encore plus l’expérience de jeu. A noter qu’une limitation du nombre de Jokers aurait inévitablement eu une incidence sur le game design du jeu, remettant en cause sa courbe de difficulté, notre souhait étant d’éviter le game over du joueur.
Pourtant, le temps moyen des expériences de jeu calculé à partir des 38704 joueurs en ligne comptabilisés à ce jour est aux alentours de 40 mn, avec une utilisation moyenne de 2 à 3 Jokers. Aucun « débordement » n’est donc observé.
Au regard de ces derniers points, nous mesurons bien l’incidence que peut opérer le contexte de diffusion du serious game et le rapport au ludique dans un cadre professionnel sur la conception même du jeu.


Aussi, la durée du jeu n’entrerait-elle pas en conflit avec la notion de productivité des entreprises ? Certes, 35 à 40 minutes de jeu par salarié sur temps de travail, pour des grandes structures, cela représente un coût salarial non négligeable, d’autant plus que nous ne sommes pas, dans le cadre de cette expérimentation, dans un dispositif formel de formation imputable au titre du plan de formation.
Le fait de passer de 20 à 40 minutes là où le temps est compté pour répondre aux objectifs de productivité, ne poserait-il pas les limites d’une action de sensibilisation par rapport à une action de formation ? Prescription du jeu pour sensibiliser… mais à condition de ne pas y passer trop de temps. Je soulève ici l’injonction paradoxale du jeu à la fois prescrit par l’entreprise-institution, autorisé, mais également perçu par cette même organisation comme « perturbant » du fait de son mode d’appropriation libre par le salarié-joueur.
Au final, si la majorité des partenaires a diffusé le jeu auprès de ses salariés (et je souligne à nouveau ici, en tant que responsable de ce projet, leur forte mobilisation et leur engagement), et très large pour certains, la demande de produire une version deux fois plus courte a été plusieurs fois exprimée par l’un d’entre eux dont la structure n’a toujours pas diffusé le jeu. Satisfaire cette demande reviendrait à modifier le scénario du jeu et le scénario pédagogique, et donc à produire un autre jeu.
Sans aucune polémique, tout le monde s’accorde à penser que sans la loi de 2005 (sur l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées), ni les amendes dont les montants sont désormais incitatifs (1500 fois le Smic horaire par poste non pourvu), l’embauche de personnes handicapées ne serait pas envisagée. Aussi, comme la dialectique entre les notions de « productivité et handicap », celle relative aux notions de « productivité et apprentissage par le jeu au travail » semble intéressante à interroger. Car, la question de la pertinence d’un serious game comme dispositif facilitant l’intégration des personnes handicapées en milieu professionnel ordinaire suppose en premier lieu, bien évidemment, qu’il y ait expérience de jeu effective.

Mais, l’entreprise est-elle le lieu où l’on peut jouer ? Image doc SG
Dans « les jeux et les hommes », Roger Caillois définit le jeu comme « essentiellement une occupation séparée de la vie courante, soigneusement isolée du reste de l’existence, et accomplie en général dans des limites précises de temps et de lieu » (Caillois, 1958, p.37)2. Roger Caillois écrit ceci en 1958, à une époque où l’ordinateur n’avait pas encore envahi les espaces de travail et où l’accès à l’Internet, et notamment aux jeux en ligne, ne pouvait être considéré comme un risque de « détournement » du salarié de son activité professionnelle.
Cette acception semble cependant toujours d’actualité dans bon nombre d’organisations au regard des restrictions imposées aux salariés  et encore souvent constatées surtout dans les grandes entreprises (je parle ici d’une manière générale et non en référence aux entreprises parties prenantes du projet) : limitation de l’accès à l’Internet avec impossibilité de se connecter à sa messagerie personnelle, proscription de visionnage de vidéos en ligne, blocage de l’accès aux réseaux sociaux et aux mini-jeux sur Facebook…Au travers de la limitation de l’accès à Internet sur le lieu de travail, il s’agit plus encore de la question de la limitation de la liberté d’accès, la sphère privée étant bannie des organisations, comme nous le précise l’étude conduite en 2011 par Stéphana Broadbent (Broadbent, 2011)3.
Au regard de ses travaux d’études, Stéfana Broadbent, enseignante en anthropologie du numérique à l’University College de Londres, considère que la restriction d’Internet et des appareils personnels de télécommunication dans les organisations, relève « bien davantage de questions culturelles qu’économiques, et a à voir avec le contrôle, la hiérarchie et la perception du travail lui-même » (Broadbent, p.100). En nous appuyant sur les travaux de Broadbent, nous pouvons nous poser la question suivante : ce qui serait en jeu ne serait-il pas tant l’usage du serious game, que le niveau de confiance et de contrôle exercé au sein d’une structure (Broadbent, p.127).
Consultation de messageries personnelles, visualisation de vidéos en ligne (selon la bande passante disponible sur les réseaux des entreprises), usage des réseaux sociaux…inquiètent un certain nombre d’employeurs, sans compter désormais l’accès à des jeux multi-joueurs en ligne de type « social game » tels que FarmVille, Cafe World, Restaurant City, Pet Society, Happy Aquarium…très populaires auprès de salariés qui se connectent fréquemment pendant leurs heures de travail.
Quelques études ont été réalisées sur la question de l’impact de la productivité du travail face à l’accès à l’Internet sur le lieu professionnel.
Il convient de bien différencier ici celles issues de sociétés commerciales, qui n’ont d’autres finalités que de vendre des solutions informatiques de type filtrage d’Url, Proxy, Firewall et dont la méthodologie d’étude ne fait référence à aucun fondement scientifique en se limitant à la collecte de données de connexions de salariés, de celles dotées d’une véritable posture épistémologique et conduites par des instituts universitaires de recherche.
Aussi, selon par exemple la dernière étude « réalité de l’utilisation d’Internet au bureau » de la société Olfeo4 (société éditrice de solutions informatiques de proxy et de filtrage de contenus permettant aux entreprises de maîtriser l’accès et l’utilisation d’Internet de leurs salariés), réalisée en 2010 et publiée en 2011, environ une heure par jour serait consacrée en moyenne à l’usage d’Internet pour des motifs non professionnels, ce qui représenterait d’après Olfeo six semaines de congés par employé et par an et une baisse de productivité de 14%. D’autres études ou articles du même type sont diffusés et avancent des pertes de productivité dont le pourcentage est variable.


Cependant, s’il semble incontestable que les collaborateurs des entreprises dont l’accès à l’Internet n’est pas contrôlé passent effectivement un certain temps à naviguer sur le Web, ce temps passé ne serait-il pas facteur de récupération intellectuelle ou psychique favorisant une meilleure productivité à la reprise de l’activité professionnelle. Anand Tatambhotla, consultant dans une société de conseil de Bangalore compare ces temps de connexion à des « pauses en ligne »5, avis partagé par Santosh Chaturvedi, psychiatre au National Institute of Mental Health and Neuro Sciences de Bangalore qui avance l’idée selon laquelle ces temps permettent aux salariés de prendre un peu de recul et d’améliorer la concentration et la productivité lors de la reprise du travail.
Plusieurs résultats d’études universitaires conduites par des chercheurs convergent vers cette même conclusion. Une étude menée par l’Université de Hambourg sur 833 collaborateurs d’organisations, révèle que jouer à des jeux en ligne sur son  lieu de travail augmente la productivité. Outre la récupération intellectuelle, l’amélioration de la sociabilité, l’ouverture d’esprit et la réactivité semblent améliorées6.
Une étude du Docteur Brent Coker7 du département Management et Marketing de l’Université de Melbourne, réalisée auprès de 300 collaborateurs, conclut sur un gain de productivité d’environ 9% en faveur de salariés procédant à des « pauses Web » par rapport à ceux dont on n’observe pas ce type de pratique, à condition de ne pas dépasser un temps raisonnable de navigation journalière.


Cependant, dans le cadre d’un serious game diffusé par l’entreprise, pour que le salarié se sente en confiance pour jouer au travail, et donc passer à l’acte de jouer, il semblerait nécessaire que l’autorisation de jeu soit « officialisée » dans l’entreprise. En effet, la conduite des entretiens individuels auprès de salariés ayant expérimenté « SecretCAM handicap », a permis de soulever une autre dimension de la contradiction entre jeu au travail versus productivité. Il s’agit du regard des autres collègues face à l’expérience de jeu. « SecretCAM handicap », comme beaucoup de jeux vidéo, intègre un univers sonore. Lorsqu’il joue, qu’il soit équipé de casque audio ou d’enceintes, le salarié affiche clairement qu’il n’est plus en situation de travail. Dans le cadre de l’expérimentation, si certaines entreprises ont opté pour un accès au serious game via des postes informatiques installés dans des salles dédiées, d’autres ont opté pour l’accès depuis les postes informatiques individuels. De plus, dans de nombreux cas, la diffusion s’est réalisée dans un premier temps dans certains services, avant information à l’ensemble du personnel. Certains salariés ont exprimé avoir ressenti une appréhension à se faire « surprendre » en plein expérience de jeu par des collègues d’autres services. L’organisation des temps individuels d’autoformation sur poste de travail via des ressources numériques audio ou vidéo, alors même que l’ensemble des collaborateurs d’une entreprise n’en est pas informé, se heurterait à la représentation sociale de l’image du salarié contributeur de la production collective de l’entreprise.


Le paradoxe du jeu « prescrit-interdit » semble d’ailleurs renforcé par le comportement implicite de certains salariés eux-mêmes, lorsqu’ils hésitent à s’autoriser à jouer alors même que le serious game  est mis à disposition par la direction de l’entreprise. Lors d’un entretien, Jeanne (nom d’emprunt), s’exprimait ainsi : «  tout le monde a joué dans le service sauf ceux qui viennent juste d’arriver. Ils sont en CDD, je pense que c’est pour ça qu’ils n’ont peut-être pas osé prendre le temps de jouer ».


En conclusion de cet article, je dirais que face aux enjeux humains et sociétaux d’intégration professionnelle des personnes en situation de handicap, la question des 20 ou 40 minutes de jeu semble bien dérisoire. D’autant plus que nous pouvons supposer que 40 minutes d’expérience de jeu sur « SecretCAM handicap » ne seraient pas contreproductives au regard des études universitaires réalisées sur les effets bénéfiques du jeu au travail sur la productivité des salariés, et même seraient intéressantes pour la thématique du handicap au regard des effets sur la sociabilité et l’ouverture d’esprit.
Le psychanalyste Michaël Stora, spécialiste des jeux vidéo, ne disait-il pas « qu’il est beaucoup plus facile de travailler avec des gens qui sont joueurs dans la vie privée » (Stora, 2009)8. Raison de plus pour utiliser le serious game à des fins de sensibilisation et de formation dans le cadre professionnel.

Le prochain article, neuvième de la série, poursuit la réflexion sur le contexte de jeu en continuité de cet article. Il porte le titre : « Jeu au travail – jeu à domicile : paradoxe et iniquité ».
Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]
Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.

Notes et bibliographie :

1 Voir article d’Olivier Mauco du 21 avril 2011, Le jeu vidéo, le politique, le citoyen, publié sur le site Knowtex, média social de la culture scientifique et technique : http://www.knowtex.com/blog/olivier-mauco-le-jeu-video-le-politique-le-citoyen/
2 Caillois, R., ouvrage, Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Editions Gallimard, collection folio essais, 1967 (1ère édition 1958).
3 Broadbent, S., ouvrage, L’intimité au travail, la vie privée et les communications personnelles dans l’entreprise, Editions Fyp, 2011
4 http://www.olfeo.com/pdf/real_util_web.pdf. Ce document précise que « l’étude a été réalisée en 2010 auprès de 50 entreprises de divers secteurs, de taille variable, représentant plusieurs milliers de salariés quelques soient leurs fonctions ou leurs niveaux hiérarchiques ». L’entreprise Olfeo précise également que « Les utilisateurs observés n’ont jamais été limités dans leur navigation Internet au bureau et les résultats sont donc l’expression de la réalité de l’utilisation de l’Internet ».
5http://www.01net.com/editorial/510306/les-jeux-sur-reseaux-sociaux-nouveau-fleau-des-entreprises/
6 “In sum, the results of the present study illustrate that computer games have a significant recovery potential”.
7 http://newsroom.melbourne.edu/news/n-19
8 Stora, M., communication vidéo, « Le jeu vidéo qui soigne », 3èmes Assises du jeu vidéo, Palais Bourbon, jeudi 30 avril 2009 :
http://www.dailymotion.com/video/x96m5g_michael-stora-aux-3emes-assises-du_videogames

31 décembre 2012

Serious game « SecretCAM handicap » - 7 : « Effets du serious game sur les salariés : l’hypothèse de l’existence d’une boucle d’apprenance »

Par François Calvez

Voir article précédent : « La question du handicap dans le jeu et les objectifs pédagogiques »

Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

En France, la recherche sur les serious games s’intensifie depuis ces trois dernières années et les jeux sérieux constituent un champ d’investigation pour les chercheurs de multiples disciplines. Pour autant, ceux qui s’y penchent font encore aujourd’hui figure de pionniers. Comme le soulignent Eric Sanchez et ses collègues dans un article de la revue internationale des technologies en pédagogie universitaire paru en 2011, « les résultats des recherches récentes sur les serious games restent fragmentaires et les besoins de résultats empiriques permettant de faire le point sur l’impact des jeux sur l’apprentissage et les conditions à satisfaire pour qu’un jeu ait un réel impact sur l’apprentissage, restent d’actualité » (Sanchez & al., 2011)1.

Là est toute la problématique : quelles conditions doit-on satisfaire pour qu’un jeu ait un réel effet sur l’apprentissage ? Dans la continuité de la conception de notre jeu et sur la base d'une expérimentation auprès de salariés des organisations partenaires, j'ai conduit une étude de type ethnographique (Cf. article 2 « le cadre du retour d’expérience »), cadre théorique à l'appui, sur les effets du serious game « SecretCAM handicap » quant à l'évolution du regard sur le handicap au travail pour les usagers du jeu, afin de rapporter des éléments d’observation permettant la formulation d’hypothèses propres au cadre d’expérimentation.

Il convient tout d’abord de préciser ce que j’entends par changement du regard. Comme précisé dans les articles précédents, par ces termes il faut entendre processus d’apprentissage conduisant à l’évolution des représentations et des comportements face au handicap. Cette évolution, pour qu’elle s’inscrive dans la durée au niveau d’une organisation, ne doit pas se limiter au seul plan individuel, elle concerne le collectif.

Plus précisément ma question de recherche était la suivante :

« Le recours à un dispositif ludoéducatif numérique, de type serious game vidéo, est-il pertinent en termes d’apprentissage et de création de débats interpersonnels dans les organisations, pour changer le regard et faire évoluer les représentations sociales des salariés sur le handicap en milieu professionnel ordinaire ? »

Cette problématique soulève une multitude de questions intéressantes à explorer : traiter, par le jeu, d’une thématique aussi complexe que le regard sur le handicap au travail est-il pertinent ? Qu’en est-il de la relation entre jeu et travail ? Quelles motivations pour les salariés à jouer à un jeu sur le handicap en dehors de tout dispositif formel de formation ? Est-il possible d’identifier des conditions préalables à satisfaire pour que le jeu ait un réel effet sur les représentations ? Qu’est-ce qui se joue dans un serious game en matière d’émotion et de cognition ? Et quels sont les effets observables suite à l’expérience de jeu sur le serious game « SecretCAM handicap » ? Ce jeu génère-t-il juste de la sensibilisation ou provoque-t-il une démarche d'introspection des joueurs pour de réelles prises de conscience ? Une expérience de jeu sur serious game est-elle véritablement un catalyseur d’échanges interpersonnels, voire de débats dans les organisations sur la question du handicap au travail, conduisant à une prise de conscience collective ?

Sur la base d’expériences de jeu réalisées sur ce serious game, il s’agit donc de conduire une recherche-action prenant en compte des dimensions pédagogiques, psychosociologiques, anthropologiques (dans la mesure de ce que j’ai pu observer).

Pour cela, j’émets l’hypothèse selon laquelle le processus conduisant à un changement collectif du comportement répondrait à ce que j’appelle une « boucle d’apprenance » - pour reprendre le terme d’apprenance de Philippe Carré (Carré, 2005)2 - dont l’origine serait l’expérience du jeu sur le serious game « SecretCAM handicap ». Philippe Carré qualifie l’apprenance comme un processus de passage de l’attitude aux pratiques, l’attitude étant tout d’abord le résultat d’un apprentissage suite à une « évaluation affective associée à la représentation cognitive de l’objet sujet de l’évaluation» (Carré, 2005)3.

Le serious game « SecretCAM handicap », diffusé au sein d’organisations, pourrait donc jouer le rôle de catalyseur d’une évolution des représentations et des comportements face au handicap au travail. Pour mieux appréhender ce que je vais développer, je propose une schématisation de cette « boucle d’apprenance », processus en trois étapes articulé autour de trois pôles - individuel, collectif et social – processus interrogé au travers de l'étude ethnographique auprès d’usagers du jeu et dont j’exposerai les observations dans les prochains articles.

Boucle d'apprenance

Etape 1 : le pôle individuel – confrontation des schèmes de pensée du joueur avec ceux convoqués dans le jeu

Ce pôle correspond à un temps d’expérience de jeu individuelle sur le serious game vidéo « SecretCAM handicap ». Pour changer le regard sur le handicap et rompre la glace de comportements souvent inhibés, « SecretCAM handicap » a pour objectif de proposer au joueur d’opérer, si nécessaire et par immersion, une transformation de ses représentations par confrontation à des situations simulées du réel.

En référence à la théorie piagétienne du développement des connaissances (Piaget, 1967)4, il s’agit de convoquer les schèmes de pensée existants du joueur pour les confronter à ceux proposés dans le jeu et tenter, ainsi, de procéder au travers de l’action de jeu, à un processus « d’accommodation des structures mentales à la réalité » visant la construction de nouveaux schèmes. L’accommodation correspond à un « ajustement », à un élargissement des schèmes de pensée déterminé par le milieu extérieur, à un processus de « déconstruction-reconstruction » du savoir et des représentions mentales.

Cet ajustement fait référence à l’apprenance de Philippe Carré. Ce dernier décrit les attitudes comme « des variables médiatrices entre l’information (reçue du milieu extérieur par un individu) et la réponse (son comportement). Elles sont prédictives des comportements » (Carré, 2005). Ceci nous rapproche de la théorie sociocognitive. Cette dernière considère en effet que les cognitions (représentations, prises de conscience…) jouent un rôle majeur de médiation entre l’action de l’environnement et les réponses comportementales (Carré, 2005, citant Bandura).

Par analogie, l’action de l’environnement correspond à ce qui est proposé dans le jeu et les réponses comportementales sont celles adoptées par le joueur au travers de ses choix. L’objectif est donc de mettre à l’épreuve les représentations du joueur en lui proposant de réagir à un environnement simulé, par des actions de jeu de type choix comportemental.

De plus, partant du principe que « la capacité d’un individu à apprendre est définie en fonction de son état émotionnel » (Postle, 1993)5, le processus d’accommodation serait favorisé par la convocation du registre émotionnel du joueur pour une évaluation affective d’une situation à laquelle il est confronté.

Les émotions jouent en effet un rôle important dans l’environnement social dans lequel tout individu évolue. Par émotion, il faut entendre ici « affect, donc ce qui est éprouvé, ressenti, […] » (Paveau, 2012)6. La dimension affective est donc un élément à interroger dans l’expérience de jeu vécue au travers d’un serious game tel que « SecretCAM handicap ». Ceci, d’autant plus que le principe de rétroaction propre aux serious games, notamment éducatifs, favorise l’apprentissage par essai erreur et autorise le joueur à expérimenter sans risque, avant une transposition future dans un autre contexte, réel, professionnel dans notre cas.

En conséquence, l’hypothèse est formulée selon laquelle l’expérience sur le serious game « SecretCAM handicap » va être le catalyseur d’une expérience projective, facteur de questionnement réflexif. Cela suppose d’étudier l’expérience de jeu selon différentes dimensions, inhérentes au serious game, mais aussi d'ordre socio-culturel et socio-institutionnel : appropriation par le joueur de la sémantique du jeu, sentiment d’immersion, réalité simulée, crédibilité du jeu, imbrication du scénario de jeu et du scénario pédagogique, motivation à jouer, plaisir de jeu,…dans le contexte singulier de l’expérience de jeu en entreprise.

Mais l’expérience de jeu individuelle est-elle suffisante pour parvenir à la construction de nouveaux schèmes de pensée sur la question des représentations sociales du handicap ? Quel rôle peut jouer l’échange interpersonnel sur cette évolution ? Ce qui renvoie à la question des interactions sociales et du rôle que jouent ces dernières dans les apprentissages.

 

Etape 2 : le pôle collectif – les expériences de jeu comme catalyseur des échanges interpersonnels spontanés

Espace virtuel, actualisation dans la réalité et interactions sociales

Il se peut qu’après avoir « vécu » une expérience de jeu virtuelle sur la question du handicap en entreprise, le joueur ne réinvestisse pas ce qu’il a pu en retirer lorsqu’il est confronté à une relation réelle avec un collègue en situation de handicap.

Cela pose la question soulevée par Serge Tisseron sur la place que prend le virtuel numérique par rapport à la forme de virtuel psychique dont parle Winnicott (Tisseron, 2012)7. En référence à D. Winnicott, il précise que la relation que nous entretenons avec le virtuel doit être envisagée comme une composante de notre vie psychique. Tisseron nous dit que « l’être humain préfère parfois lier ses émotions et ses sentiments à des représentations mentales plutôt qu’à des objets concrets » (Tisseron, 2012, p.2). Il poursuit en précisant « qu’il arrive que nous préférions rêver le monde plutôt que de nous confronter à lui ».

Pour Serge Tisseron les objets virtuels sont beaucoup moins importants que le processus de virtualisation visant à virtualiser les données de l’expérience grâce à notre capacité d’abstraction, dans le but d’opérer de nouvelles synthèses, points de départ de nouvelles représentations. En ce sens, on retrouve ici la théorie piagétienne relative à l’accommodation des schèmes de pensée appliqués dans ce cas à une situation de rencontre avec les objets numériques.

Selon Tisseron, ce processus de virtualisation peut permettre de modifier nos habitudes de pensée, à condition cependant qu’une actualisation s’opère afin de recueillir les fruits de cette virtualisation.

Il poursuit en considérant que « ce serait une erreur de qualifier les objets numériques présents sur nos écrans d’objets virtuels. Leur virtualité existe bien, mais ce n’est que l’un des deux pôles de leur construction. L’autre est leur actualisation permanente, qui transforme justement la virtualité en actualité » (Tisseron, 2012, 72).

Les objets de nos écrans sont au carrefour du virtuel et de l’actuel exactement comme nos objets psychiques (Tisserron, 2012, p.72). Par actuel Serge Tisseron signifie degré de rapport à la réalité. Pour expliquer son propos il fait le parallèle avec la « correspondance écrite » qui définit une relation d’objet virtuelle (la lettre) avec un interlocuteur réel (le destinataire de la lettre). Si le destinataire n’est pas présent lors de la rédaction, il n’en est pas pour autant un objet virtuel. Le risque serait d’ignorer le rôle actuel et concret de la relation, lors d’une prochaine rencontre réelle avec le destinataire de la lettre. Car nous nous construisons au travers des autres. « L’actualisation de nos identités est toujours relationnelle » (Tisseron, 2012, p.107), et c’est par le processus continu d’actualisation de nos identités dans nos contacts avec d’autres que nous devenons ce que nous sommes » (Tisseron, 2012, p.108).

Cette interaction interpersonnelle n’est pas sans nous rappeler la pensée de Lev Vytgoski (Vygotski, 1934)8 - père du socioconstructiviste et sur lequel de nombreux chercheurs ont depuis fondé leurs travaux - relative au rôle des interactions sociales et du champ socioculturel dans l’apprentissage et la construction des connaissances. La théorie de Lev Vygotski ajoute à la théorie interactionniste de Piaget la perspective interactionniste socioconstructiviste de l’influence de l’activité collective et de la médiation d’autrui sur le développement cognitif, permettant ainsi à l’apprenant de faire, avec et par les autres, des apprentissages qu’il n’aurait pu réaliser seul (Vygotski, 1985)9. La confrontation de points de vue différents, voire divergents, peut être perçue comme un « processus de négociation au plan cognitif, source de motivation à acquérir de nouvelles connaissances » co-élaborées.

En rester à une expérience virtuelle de mise en situation de confrontation à la question du handicap, même simulée au plus proche de la réalité, ne serait donc pas satisfaisant.

Le réinvestissement dans la réalité semble donc plus que souhaitable pour aller dans le sens d’une évolution effective des comportements.

L’hypothèse est donc formulée selon laquelle ce réinvestissement pourrait s’opérer, progressivement, tout d’abord au travers d’échanges entre collègues (en situation de handicap ou non) ayant expérimenté le jeu.

Le serious game, plus que tout autre média, de par son caractère intrinsèque immersif impliquant et ludique, son potentiel imaginaire, sa capacité à convoquer le registre émotionnel du joueur, ne serait-il pas un excellent catalyseur d’échanges interpersonnels spontanés entre salariés sur la question du handicap en entreprise ? Là où le mutisme était de mise concernant le handicap au travail, les salariés ne seraient-ils pas tentés, dans un premier temps, de discuter de leur expérience de jeu, des personnages, de comparer leur score…pour finalement échanger sur la question du handicap, évoquer plus facilement leurs propres représentations, les confronter avec celles des collègues et les « négocier » au sens du débat collectif ? La mécanique de jeu comme catalyseur spontané d’un débat interpersonnel sur une question complexe, une passerelle entre la forme et le fond, un pont entre le « but du joueur » et le « but du jeu », un passage de l’implicite à l’explicite…c’est l’hypothèse que je formule pour cette deuxième étape, en dehors de tout dispositif formel de formation.

Il va de soi, et j’en ai bien conscience, qu’un dispositif formel de formation mis en place par l’entreprise, avec débriefing collectif post expérience de jeu, systématiseraient, « institutionnaliserait » ces échanges.

Les chercheurs Alvarez et Djaouti nous rappellent que, comme dans tout dispositif de formation, le bilan final permettant d’évaluer les activités d’un joueur fait partie intégrante de l’ingénierie de formation d’un jeu éducatif (Alvarez & Djaouti, 2010)10. Comme dans tout dispositif de formation, un temps de débriefing final permet de conscientiser les acquis. Ce bilan de l’activité de jeu participe à un travail de distanciation opéré par l’apprenant grâce à la médiation du groupe et du formateur référent, lui permettant une meilleure assimilation de l’expérience pédagogique qu’il vient de vivre.

Dans le projet d’étude des effets de « SecretCAM handicap », l’intérêt du débriefing final n’est pas du tout occulté, bien au contraire, il est central. L’intérêt est bien ici de tenter d’observer, dans un contexte professionnel, ce que j’appellerai le « pouvoir » des usages des technologies numériques immersives sur les interactions spontanées entre collègues proches, d’un même service, post expérience de jeu, en dehors de tout dispositif formel. Il s’agit d’observer jusqu’où ce « pouvoir » peut s’exercer, la thématique du handicap, socialement empreinte d’humanisme, n’étant a priori pas étrangère à ce processus spontané. Tout au moins, il s’agira d’observer si le serious game pourrait poser les bases solides d’un dispositif plus formel visant la conduite du changement du regard sur le handicap en entreprise.

 

Etape 3 : le pôle social – Nouveaux savoirs validés par le collectif social aboutissant à la transformation du jugement social et des comportements collectifs en entreprise face au handicap en situation professionnelle

Si la norme sociale, régulatrice de nos comportements, permet d’arborer une attitude « politiquement correcte », le jugement social peut s’appuyer sur de nombreux préjugés. 

Dans cette troisième étape, il s’agit de considérer que le groupe social constitué par les salariés d’un même service d’une même organisation, puisse parvenir, suite aux deux étapes précédentes, à modifier collectivement ses jugements sociaux et par voie de conséquence ses comportements collectifs face au handicap. Tout au moins de manière plus explicite et prévalant dans le cadre professionnel, favorisant ainsi l’intégration de collègues en situation de handicap.

Je m’appuie ici sur les propos de Catherine Esnard, cette dernière définissant la norme sociale en tant que « concept nous permettant d’appréhender comment l’environnement social au sens large, c'est-à-dire les influences groupales et culturelles, devient prescriptif des comportements et jugements individuels » (Esnard, 2009, p.68)11.

Citant Yzerbyt et Schadron, Catherine Esnard formule l’idée selon laquelle « un jugement social sur autrui est un acte hautement social par lequel le percevant se trouve soumis à un ensemble de contraintes d’ordre normatif et non plus informationnel » (Esnard, 2009, p.11). Elle défend l’idée que le jugement n’est pas un acte individuel, mais au contraire un acte dépendant des opinions qui traversent le champ social. Or, le jugement social est susceptible d’être transformé, la perception qu’un individu a des autres personnes ou des événements sociaux étant variable suivant le contexte dans lequel elle s’effectue (Esnard, 2009).

Aussi, la co-élaboration des savoirs telle qu’elle est pensée dans la perspective socioconstructiviste permet en quelque sorte de s’assurer de la validation des nouveaux savoirs par le collectif social. On retrouve ici la différence qu’opère Perriault s’appuyant sur les travaux de la psychologie cognitive dans la construction de différents savoirs, entre ce qu’il nomme « savoirs simples » relevant d’une observation, d’une expérience personnelle, et « savoirs validés » par la discussion, éprouvés par l’expérimentation et légitimés par la société » (Perriault, 2002, cité par Carré, 2005, p.89)12.

 

Je termine le développement de mon propos sur l’hypothèse de l’existence de cette « boucle d’apprenance », en supposant qu’une seconde expérience de jeu, si nécessaire, suite au déroulement de cette boucle, pourrait conduire à un parcours de jeu différent et à une évolution progressive des comportements selon un processus itératif.

En définitive, il s’agira donc d’observer et de décrire si le serious game vidéo « SecretCAM handicap », au travers de l’expérience de jeu qu’il propose, a su convoquer individuellement le registre émotionnel des salariés grâce aux mécanismes intrinsèques du jeu vidéo (sentiment d’immersion par voix off, jeu en première personne…, confrontation à une réalité simulée…), puis générer des échanges interpersonnels spontanés voire du débat social dans les entreprises sur la question du handicap, aboutissant à une nouvelle représentation sociale du handicap en situation professionnelle collectivement partagée. Cela revient également à questionner les effets du potentiel culturel et imaginaire de l’usage des technologies, de  s’interroger sur le jeu au travail, de mettre en évidence ce qui se joue au niveau des représentations du handicap, de chercher à décrire ce qui s’inscrit en creux, en négatif, pour reprendre les mots de René Kaës ou encore de Jean Luc Rinaudo.

La boucle d’apprenance fonctionne-t-elle ? Nous verrons dans les prochains articles ce que l’étude et l’analyse nous livrent.

Le prochain article, huitième de la série, porte le titre : « Entreprise, jeu et productivité : l’injonction paradoxale du jeu prescrit–interdit ». L’expérimentation étant réalisée dans le cadre professionnel, une étude de type ethnographique et l’analyse de la boucle d’apprenance se doivent de questionner l’influence du contexte de jeu sur l’expérience de jeu des salariés.

Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]

Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.

 

Notes et bibliographie :

1 Sanchez, E., Ney, M., Labat, J.M., publication, « Jeux sérieux et pédagogie universitaire : de la conception à l’évaluation des apprentissages », Revue Internationale des Technologies en Pédagogie Universitaire, volume 8, (1-2), pp. 48-57, 2011 : http://www.ritpu.org/IMG/pdf/RITPU_v08_n01-02_48.pdf

2 Carré, P., ouvrage, L’Apprenance, vers un nouveau rapport au savoir, Editions Dunod, Paris, 2005.

3 Philippe Carré décrit la position des psychologues sociaux pour lesquels « l’attitude résulte d’un mélange de croyances (dimension cognitive), d’émotions (dimension affective), et d’intentions (dimension pré-comportementale) » et évoque Reuchlin pour qui l’attitude est une « disposition à réagir d’une certaine façon à l’égard des problèmes sociaux à signification collective » (Carré, 2005, p.113).

4 Piaget, J., ouvrage, La construction du réel chez l’enfant, Editions Delachaux et Niestlé, Neuchatel, 1967.

5 Postle, G., ouvrage, Putting the heart back into learning. In: Boud, D., Cohen, R. & Walker, D. (Eds.), Using Experience for Learning, SRHE & Open University Press, Buckingham, 1993.

6 Cf. article de Marie Anne Paveau, Désir épistémologique et émotion scientifique, janvier 2012 : http://infusoir.hypothese.org/2182. Dans cet article, Marie Anne Paveau traite de l’émotion scientifique et fait le parallèle avec le plaisir cognitif. L’affect n’est pas défini par opposition à l’intellect, ni l’émotion par opposition à la raison, « ces deux pôles sont à considérer comme un continuum » (Paveau). Les travaux en sciences cognitives et en neurosciences depuis les années 90 ont mis en exergue, non pas l’opposition, mais bien contraire la contribution des émotions à la raison.

7 Tisseron, S., ouvrage, Rêver, fantasmer, virtualiser - Du réel psychique au virtuel numérique, Editions Dunod, Paris, 2012.

8 Lev Vygotski, Pensée et langage, Editions La Dispute, 1997 (première édition russe 1934).

9 Vygotski, L., ouvrage, Le problème de l’enseignement et du développement mental à l’âge scolaire. In B. Schneuwly & J. P. Bronckart (Eds.), Vygotsky aujourd’hui. Editions Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1985.

10 Alvarez, J., Djaouti, D., ouvrage, Introduction au Serious Game, Editions Questions théoriques, 2010.

11 Esnard, C., ouvrage, Le jugement social, Editions Dunod, Paris, 2009.

12 Perriault, J., L’accès au savoir en ligne, Editions Odile Jacob, Paris, 2002.

17 décembre 2012

Serious game « SecretCAM handicap » - 6 : « La question du handicap dans le jeu et les objectifs pédagogiques »

Par François Calvez

Voir article précédent : « Le théâtre forum : un outil collectif d’objectivation des représentations individuelles pour la genèse d’un scénario de jeu ancré dans la réalité ».

Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam2.fr/

1) La question du handicap dans le jeu

11Le projet de recherche sur les usages et les effets du serious game vidéo « SecretCAM handicap » vise à interroger les représentations sociales du handicap en entreprise et plus particulièrement la notion de stigmate du handicap dans les organisations.

Le handicap ne laisse pas indifférent. Une empathie face aux difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap nous conduit à une compassion humaniste, mais elle renvoie aussi l’image de ce que nous pourrions potentiellement être. Au-delà de la question d’acceptation de la différence, le handicap renvoie à la question de la ressemblance. Ce qui peut susciter une gêne, un évitement. En illustration de ce propos je citerai le texte d’Elisa Rojas, personne handicapée atteinte de la maladie des os de verre : « Le problème c’est que la maladie et les accidents auxquels le handicap est rattaché frappent l’imagination, notamment celle de ceux qui en sont le plus éloignés. Ils renvoient à la douleur et à la mort, cristallisant ainsi une multitude d’angoisses » (Rojas, 2009, p.69)1.

Elle avance également l’idée selon laquelle, dans tout rapport à la différence, qu’il s’agisse de stigmatisation ou de discrimination, les ressorts sont toujours les mêmes : « Seuls les fantasmes changent, mais le processus est le même : il s’agit de réduire une personne à un seul élément inhérent à sa personne, qu’il n’a pas choisi et qu’il ne peut changer » (Elisa Rojas, 2009, p.76).

Ainsi, le rapport que nous entretenons avec le handicap et le stigmate est quelque peu complexe.

Pour le sociologue Erving Goffman, le mot stigmate « sert à désigner un attribut qui jette un discrédit profond, mais il faut bien voir qu’en réalité c’est en termes de relations et non d’attributs qu’il convient de parler » (Goffman, 1977, 1963, p.12)2.

Ce focus sur la notion de relation interpersonnelle plutôt que d’attribut est particulièrement intéressant pour la création du serious game « SecretCAM handicap » dont la volonté n’est pas de faire état de pathologies, donc d’attributs, mais bien de représentations sociales conditionnant la relation, évitant ainsi à priori de faire un jeu qui stigmatise le handicap malgré lui (l’étude ethnographique nous apporte des éclairages sur ce point, nous le verrons).

Par ailleurs, Erving Goffman avance l’interrogation suivante : « l’individu stigmatisé suppose-t-il que sa différence est déjà connue ou visible sur place, ou bien pense-t-il qu’elle n’est ni connue, ni immédiatement perceptible par les personnes présentes ? » (Goffman, 1963, p.14).

A partir de cette question, il distingue deux types de sorts auxquels l’individu stigmatisé doit faire face : « l’individu discrédité » (handicap déjà connu conditionnant son acceptation par la société) et « l’individu discréditable » (handicap non connu immédiatement, qui est dissimulé). Ces deux situations renvoient aux notions de handicap visible et de handicap non visible.

Dans « SecretCAM handicap », le scénario met en scène Jean, en situation de handicap physique non visible. Ce choix nous permettait à la fois de bouleverser les clichés de la canne blanche et du fauteuil, d’éviter d'entrer par la complexité et la singularité des pathologies vécues individuellement de manière différente - ce qui pourrait conduire le jeu à stigmatiser le handicap malgré lui -, mais aussi d’apporter au jeu la dramaturgie générée par cette notion d’individu discréditable.

Regards figésLorsque Jean annonce son handicap non visible, les regards de ses collègues se figent, la représentation des autres change et la suspicion s’installe dans l’esprit de certains collègues. Jean aurait-il dû annoncer son handicap ? Il y a le Jean d’avant, et le Jean d’après l’annonce de son handicap. Certes, il n’est plus discréditable et passe au statut de discrédité puisque son handicap est désormais connu, mais cependant la non visibilité de son handicap alors même qu’il est doté de toutes ses capacités mentales laisse planer le doute sur la réalité de cet handicap dont Jean s’affuble.

Cette question de l’annonce du handicap a fait l’objet de beaucoup de discussions lors de la création du scénario. Comment l’amener dans le contexte du jeu ? Dès le début ? Au fur et à mesure ? Alors que faire ? D’autant plus que dans un souci de protection de l’intimité des personnes, la loi de 20053 encadre et protège la divulgation d’une information personnelle relative à un handicap. La médecine du travail a connaissance de la pathologie, l’employeur n’est mis au courant que des adaptations et des aménagements du poste de travail nécessaires pour pallier le handicap, quant aux collaborateurs, la situation de handicap d’un collègue n’est portée à leur connaissance que par le bon vouloir de celui-ci.

Erving Goffman précise que dans le cas d’un individu discréditable, « le problème n’est plus tant de savoir manier la tension qu’engendrent les rapports sociaux (entre un individu discrédité affublé d’un handicap visible connu et les « valides »), que de savoir manipuler de l’information concernant une déficience : l’exposer ou ne pas l’exposer ; le dire ou ne pas le dire ; feindre ou ne pas feindre ; mentir ou ne pas mentir ; et dans chaque cas, à qui, comment, où et quand » (Goffman, 1963, p.57).

Nous avons donc décidé d’une annonce dès le début du jeu, mais qui pouvait laisser planer le doute et la suspicion du fait de la non visibilité du handicap. C’est ce qui nous semblait le plus pertinent à proposer au joueur pour intensifier une expérience réflexive sur sa propre représentation du handicap, en dehors de tous clichés usuels.

Annonce JeanMais pour que cela fonctionne, il ne fallait pas de relation historique ni d’affect entre les protagonistes du jeu, notamment entre le joueur et les autres personnages, car « le traitement du stigmate est soumis dans son ensemble à la connaissance personnelle que l’on a ou non de l’individu qui en est affligé » (Goffman, 1963, p.72). Aussi, Jean est-il nouveau dans l’entreprise tout comme l’avatar du joueur. Les protagonistes, hormis les trois collègues plus anciens, n’ont donc aucune relation de connaissance.

Outre la question de l’annonce du handicap et de ce qu’elle produit chez les collègues proches, les entretiens exploratoires et les séances de théâtre forum avec l’ensemble des partenaires acteurs de la chaîne d’insertion (Cf.article 5), ont permis de faire émerger les choix des contenus d’apprentissage tirés de la réalité et relatifs à la relation dialectique qu’entretiennent les interactions interpersonnelles et le handicap au travail. Bien évidemment, « SecretCAM handicap » n’a pas pour ambition de traiter l’ensemble des représentations sociales liées au handicap en milieu professionnel ordinaire. Aussi, pour définir les contenus du jeu, des choix ont été opérés, motivés par ce qui semblait incontournable à traiter.

2) Les contenus et les objectifs pédagogiques

L’objectif du serious game vidéo « SecretCAM handicap » est de participer au changement de regard des salariés sur le handicap au travail. Par changement de regard il faut entendre processus d’apprentissage conduisant à l’évolution des représentations et des comportements face au handicap. Nous verrons dans le prochain article le processus supposé par lequel le serious game pourrait participer à cette évolution, processus qui a constitué un objet d'étude pour la recherche-action. Dans l’immédiat voyons les contenus thématiques du jeu auxquels le joueur est confronté.

En définitif, au travers des scènes du jeu, des dialogues, des comportements types identifiés et incarnés par les protagonistes du jeu (exclusion délibérée de Simon, compassion exacerbée d’Emma et indifférence de Yasmina)4, des informations contextuelles débloquées et des réponses aux Quiz lors des convocations chez le manager (Cf. article 3 « le game design du jeu »), le joueur est invité à adopter une posture réflexive quant à son regard sur le handicap face aux thématiques suivantes : 

- réactions suscitées par l’annonce du handicap d’un collègue…génératrices de peurs, de craintes…
- considérations face à l’aménagement du temps et du poste de travail…considéré comme un avantage,
- questionnement envers le handicap non visible…générant suspicion quant à la réalité effective ou au degré du handicap,
- sentiment d’iniquité entre salariés au regard de la répartition de la charge de travail, des contraintes personnelles…,
- représentations sociales associant handicap et incompétence, incapacité, absence d’autonomie, impotence...
- « docilité » des travailleurs handicapés…
3- comportements de stigmatisation (exclusion délibérée, indifférence, compassion exacerbée, héroïsme, négation des difficultés…). Concernant ce point, je tiens à préciser que le groupe projet a tenu à mettre un point d’orgue particulier sur la relation d’aide de type compassion exacerbée d’Emma. Du coup, le scénario du jeu est conçu à partir du postulat selon lequel le parcours des joueurs va majoritairement s’orienter vers Emma dont le comportement, plus consensuel au demeurant, est « socialement acceptable » - ce que l’observation des parcours de jeu confirme, nous y reviendrons. Or, sa relation d’aide de type compassion poussée à l’extrême va finalement conduire l’équipe dans une impasse, là où l’attitude d’exclusion de Simon se heurte à des contradictions pouvant l’amener à des prises de conscience débouchant sur une solution.

A chaque mission de jeu, correspond :

- une problématique face au handicap au travail,
- une mise en exergue de représentations sociales et de comportements associés,
- la traduction de la problématique en objectif pédagogique opérationnel,
- une ou plusieurs informations contextuelles apportant des éclairages plus théoriques sur la loi de 2005 et sur les enjeux d'une politique handicap pour les organisations.

Contrairement à des séances de formation e-learning plus « classiques », le joueur ne dispose pas des objectifs pédagogiques exposés clairement en début de parcours. Il les comprend au fur et à mesure de la conduite de sa mission ainsi qu’au travers du feedback de fin de mission.

Une « grille pédagogique » a permis d’établir clairement les éléments cités précédemment pour chacune des missions dont les objectifs pédagogiques sont les suivants :

- Mission 1 - étapes 1 et 2 : amener à considérer que l’annonce du handicap par un travailleur handicapé ne doit pas susciter de freins, de craintes, de fantasmes, de préjugés ou de représentations imaginaires particulières chez ses collègues.

- Mission 2 - étapes 1 et 2 : amener à considérer que les compensations et les aménagements du poste de travail d'un collègue en situation de handicap non visible ne relèvent pas d'un avantage.

- Mission 3 : étape 1 : faire comprendre que les difficultés ou contraintes personnelles de chaque collaborateur sont importantes à prendre en compte, qu’il s’agisse de handicap ou non, sans pour autant nier les difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap / étape 2 : faire prendre conscience qu'une personne handicapée, comme tout autre collaborateur, est embauchée pour ses compétences et non en tant que personne handicapée venant satisfaire le quota d’obligation d’emploi de 6% de la loi de 2005.

- Mission 4 - étapes 1 et 2 : faire comprendre que la relation d’aide de type compassion exacerbée (faire à la place de et non avec) est tout aussi excluante que le comportement d'exclusion délibérée ou l’indifférence.

Le prochain article, septième de la série, porte le titre : « Effets du serious game sur les salariés : l’hypothèse de l’existence d’une boucle d’apprenance ».

Merci de votre lecture et bonnes fêtes de fin d’année.

A bientôt.

François Calvez - [email protected]

Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire

 Notes et bibliographie :

1 Rojas, E., ouvrage, chapitre, Libres et égaux, sur le papier, in Le handicap par ceux qui le vivent, sous la direction de Charles Gardou, Editions Eres, collection Reliance, Toulouse, 2009, pp.67-83.
2 Goffman, E., ouvrage, Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Editions de Minuit Paris, 1977 (1ère édition 1963).
3 La loi de 2005 est relative à l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées et renforce les obligations en matière d’emploi instituées par les lois précédentes.
4 Pour la description des personnages du jeu, Cf. article 3 «  le game design du jeu ».

10 décembre 2012

Serious game SecretCAM handicap - 5 : « Le théâtre forum : un outil collectif d’objectivation des représentations individuelles pour la genèse d’un scénario de jeu ancré dans la réalité »

Par François Calvez
Voir article précédent : « SecretCAM, un concept de jeu pour faire tomber les masques»
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

La production d’un serious game éducatif suppose la conception d’un scénario et d’une histoire supports aux contenus d'apprentissage. Ces derniers, dans le cas de SecretCAM handicap, sont relatifs aux représentations et comportements adoptés, observés à l’encontre du handicap en entreprise, sources inconscientes ou conscientes de stigmatisation.

Le sociologue Erving Goffman qualifiait le stigmate comme un attribut jetant un discrédit profond sur un individu. Il précisait « qu’en réalité c’est en termes de relations et non d’attributs qu’il convient de parler » (Goffman, 1963, p.12)1. Goffman avance donc l’idée selon laquelle la relation à l’autre peut être plus stigmatisante que l’attribut objet du handicap.
Considérant ce dernier point et le serious game comme « une démarche pédagogique devant intégrer un scénario de jeu » (Alvarez & Djaouti, 2010)2, il semblait pertinent, pour la conception d’un scénario et des contenus d’apprentissage réalistes, de nous appuyer sur des situations relationnelles réellement vécues, sources de stigmatisation du handicap en entreprise.

Ainsi, le jeu, ancré dans la réalité, se baserait sur « l’apprentissage par l’immersion dans une situation pour laquelle il existe une référence dans le monde réel » (Sanchez & al., 2011)3. Il s’agit de proposer au joueur une « situation authentique faisant référence à la proximité de l’expérience proposée aux apprenants avec une situation réelle » (Sanchez & al. 2011).

Sur le plan méthodologique, nous avons opté pour une démarche innovante : le recours au théâtre forum (TF) pour la genèse du scénario. De plus, cette approche collective nous permettait de garantir l'objectivation de nos propres représentations.
Une première étape a consisté à conduire des entretiens exploratoires auprès de travailleurs handicapés, de responsables RH et de Chargés de Mission Handicap. J’en ai conduit neuf au total dont l’objectif était d’identifier des situations types sur le stigmate, à décliner dans un second temps en saynètes jouées en TF.

Le TF, conçu par Augusto Boal4 au Brésil dans les années 60, est devenu en France dans les années 80 un outil d’animation utilisé pour tenter de résoudre collectivement des problèmes de société, de relations, de communication… y compris dans l’entreprise.

Le principe consiste à recourir au jeu théâtral en impliquant des protagonistes pour mettre en scène des situations qui posent question. Chaque scène jouée fait l’objet d’un forum (discussion collective entre participants). L’objectif est de modifier la vision du monde dans un sens qui convient mieux.

TF et SG similitudeLe TF repose sur des présupposés théoriques proches de ceux des jeux de rôles. Il permet de simuler le réel, de l’expérimenter sans péril en convoquant l’expression de la vérité des émotions et des sentiments. Aussi, le TF et le serious game participent du même mécanisme de pluralité des scénarii possibles explorés à partir d’une même scène de départ. Par analogie, les saynètes jouées sont les choix proposés au joueur, les forums sont les Jokers, éléments de la mécanique d’un jeu offrant la possibilité d’annuler un choix précédent, afin de revenir à la situation de départ pour explorer une nouvelle piste (cf. graphique ci-dessus). On retrouve là le principe de rétroaction itérative utilisé dans les serious games dont la narration n'est pas linéaire, comme dans les apprentissages par essai-erreur.

Certaines adaptations « techniques » ont été nécessaires. En effet, le recours au TF comme outil de genèse d’un scénario de jeu sur le handicap ne supposait plus uniquement la recherche d’une solution à une situation donnée, mais aussi l’exploration de différents comportements observés et vécus face à cette situation, ainsi que la recherche d’éléments dramaturgiques et de dialogue. De plus, les consignes formulées aux participants ont été adaptées, notamment en ce qui concerne la nécessité de respecter la présence systématique du « joueur » dans les scènes (ne pas oublier que le jeu est en caméra subjective en première personne, Cf. article 3 sur "le game design du jeu").

Image TFOrganisées sur trois jours avec une vingtaine de personnes issues des structures partenaires, les séances, animées par une association5 partie prenante du projet et spécialisée en Théâtre Forum, ont regroupé les acteurs impliqués dans la « chaîne de l’insertion professionnelle» du handicap en entreprise : travailleurs handicapés, psychologues, éducateurs, référents « handicap et diversité » d’entreprises, responsables RH, chargés d’insertion en entreprise… mais aussi scénariste et pédagogues du Pole Tice.

Aux situations types identifiées lors des entretiens exploratoires, les participants ont associé des situations vécues réellement pour les mettre en scène et envisager leur déclinaison grâce aux forums. Toutes les saynètes ont fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel et ont constitué pour notre équipe de création du jeu (impliquée bien évidemment aussi dans les séances de TF), le matériau des objectifs pédagogiques à retenir, des contenus d’apprentissage correspondants, du scénario et des éléments dramaturgiques.

Pour autant, si la volonté de construire le scénario et les contenus d’apprentissage à partir de situations réellement vécues, constituait déjà un point de réassurance face au risque de créer un jeu qui stigmatiserait le handicap malgré lui par manque d’objectivation de nos représentations individuelles, ce risque n’était pas complètement écarté. Plusieurs points de vigilance restaient à prendre en compte pour se prémunir de cette stigmatisation involontaire :

- Impliquer les personnes handicapées dans la conception : les personnes en situation de handicap avancent souvent la maxime « avec nous, mais pas sans nous ». Elle traduit leur volonté d’être associées aux actions de sensibilisation relatives à la question du handicap. Qui est mieux placé qu’elles pour en parler ? Sans la présence de personnes handicapées dans les projets d’envergure de sensibilisation, les « valides » renvoient l’image peu crédible d’actions charitables conduites sous l’égide de notre culture judéo-chrétienne. L’implication de personnes handicapées était indispensable. Outre la crédibilité du projet en jeu, je ne le concevais bien évidemment pas autrement.

- Se décentrer de la question du handicap : comme dans de nombreux serious game, l’objectif du joueur n’est pas l’objectif du jeu. L’approche selon une pédagogie du détour implique entre autres un décentrage par rapport à la thématique proposée. La mission du joueur n’est donc pas d’intégrer un collègue handicapé, mais de réussir l’organisation d’un stand sur un salon professionnel dans le cadre d’un service communication d’une entreprise (impliquant un nouveau collègue qui va annoncer son handicap physique non visible).

- Traiter des représentations sociales du handicap en entreprise et non des pathologies : les pathologies diffèrent suivant les individus et sont vécues par les personnes handicapées de manière singulière en fonction de leur histoire, leur personnalité, leur environnement proche… Le jeu met donc principalement en scène les comportements des collaborateurs « valides » face au handicap de leur collègue, Jean, le personnage handicapé, qui au final n’apparait volontairement que très peu à l’écran.

- Bien choisir la personnalité de Jean : il va de soi que le personnage de Jean, en situation de handicap, porte en quelque sorte la représentativité des personnes en situation de handicap. Le choix de sa personnalité est un élément essentiel de la vigilance face au risque de stigmatisation. Dans le jeu, Jean assume pleinement son handicap et est sûr de lui. Il est calme et posé, sans être pour autant docile face aux comportements stigmatisant de ses collègues. Cet élément relatif à la docilité des personnes handicapées était remonté des entretiens exploratoires auprès d’autres entreprises que celles partenaires du projet de création du jeu. Les travailleurs handicapés pouvant « servir » à certains employeurs de « faire-valoir » pour minimiser les revendications de salariés dits valides, en s’appuyant sur l’exemple de salariés handicapés motivés au travail malgré « leur condition » et sans revendication particulière. La volonté du serious game était aussi de "s'attaquer" à cette représentation liée à la docilité des travailleurs handicapés.

- Rompre avec les clichés en choisissant un handicap non visible dans le jeu : le handicap non visible représente 80% des handicaps en entreprise. Pour autant, il n’est pas souvent cité. Les clichés du fauteuil roulant, de la canne blanche, du langage des signes et du handicap mental restent encore fortement marqués dans les représentations collectives. Pourtant, le handicap non visible concerne tous les types de handicap, intellectuel, psychique, mais aussi moteur (problème de dos, TMS…), visuel (malvoyant), et auditif (malentendant). De plus, outre le fait d’apporter des éléments dramaturgiques intéressants pour le scénario du jeu, traiter du handicap non visible semblait être pertinent au regard des suspicions et questionnements qu’il semble susciter (et qui ont été mis en évidence lors de l’étude auprès des usagers du jeu). Dans les représentations sociales, « le handicap ça se voit ». De plus avec une personne en fauteuil par exemple, tout semble beaucoup plus clair sur ce qu’elle est censée a priori pouvoir faire ou ne pas faire. Certes, le joueur de « SecretCAM handicap » peut émettre des hypothèses quant au handicap de Jean par recoupements d’informations données dans le jeu. Pour autant, le type de handicap non visible dont Jean est atteint n’est jamais énoncé de façon à éviter, là encore, de tomber dans les questions d’ordre pathologique.

- Ne pas culpabiliser le joueur en recourant à l’humour, sans tomber dans le burlesque décrédibilisant, pour ne pas oublier le plaisir de jeu, élément essentiel à toute expérience apprenante. Le scénario prévoit donc des impasses de jeu humoristiques, sans incidence sur la progression du joueur.

Si un point de vigilance consiste donc à éviter de faire un jeu qui stigmatise le handicap malgré lui, pour autant, l’expérience de jeu avec un serious game ne doit pas être consensuelle. Pour qu’il y ait intérêt pour le jeu, ce dernier doit offrir la possibilité au joueur de transgresser les règles (Stora, 2009)6, et donc, dans le cas de SecretCAM, d’exercer une forme de stigmatisation. Voilà donc toute la complexité, voire le paradoxe, sur lequel nous reviendrons dans l’analyse des effets du jeu sur les joueurs : jouer avec la notion de stigmatisation sans créer pour autant une application informatique qui renforce le stigmate du handicap en entreprise.

Le prochain article, sixième de la série, porte le titre : « La question du handicap dans le jeu et les objectifs pédagogiques ».

Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]
Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire

1 Goffman, E., ouvrage, Stigmate, Les usages sociaux des handicaps, Editions de Minuit Paris, réédition 2010 (1ère traduction 1975, 1ère édition 1963).

2 Alvarez J. et Djaouti D., Introduction au Serious Game, Editions Questions théoriques, 2010.

3 Sanchez, E., Ney, M., Labat, J.M., publication, « Jeux sérieux et pédagogie universitaire : de la conception à l’évaluation des apprentissages », Revue Internationale des Technologies en Pédagogie Universitaire, volume 8, (1-2), pp. 48-57, 2011 : http://www.ritpu.org/IMG/pdf/RITPU_v08_n01-02_48.pdf

4 Le théâtre forum est une technique théâtrale mise au point au Brésil par Augusto Boal dans les années 60 dans les favelas de Sao Paulo. Technique participative qui implique le public dans le déroulement des scènes jouées dans le but de changer l’issue et de conscientiser des problèmes
sociaux.

5 Association Petit Pas Pour l’Homme (3PH) : http://www.3ph.fr/

6 Stora, M., communication vidéo, « Le jeu vidéo qui soigne », 3èmes assises du jeu vidéo, Palais Bourbon, jeudi 30 avril 2009 : http://www.dailymotion.com/video/x96m5g_michael-stora-aux-3emes-assises-du_videogames

03 décembre 2012

Serious game « SecretCAM handicap » - 4 : « SecretCAM, un concept de jeu pour faire tomber les masques »

Par François Calvez
Voir article précédent : « Le game design du jeu »
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam2.fr/

Logo_secretcam noirComme énoncé dans l'article relatif au game design, d'un point de vue dramaturgique le concept de «SecretCAM» (caméra secrète) fait référence au thème du voyeur du film "fenêtre sur cour" d’Hitchcock. Du point de vue des relations interpersonnelles, ce concept fait référence à la métaphore du sociologue Erving Goffman relative à la théâtralisation des interactions sociales dans la vie quotidienne (Goffman, 1973, 1959)1. Pour Goffman, la vie sociale quotidienne est comme un théâtre avec une scène, ses acteurs, son public, ses coulisses. L’interaction est une représentation où chacun offre au public la représentation de soi, l’image de soi à paraitre pour garder la face et donner bonne impression. Chacun agit en tant « qu’acteur de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour, doivent en retirer une certaine impression » (Goffman, cité dans un article de scienceshumaines.com)2. Face au handicap, les normes sociales gouvernent souvent les comportements « politiquement corrects » et conditionnent les interactions sociales. Le rôle de cette « bienveillance sociale » évoqué par Goffman dans son ouvrage Stigmate est « d’adoucir et d’améliorer nos réactions » (Goffman, 1975, 1963, p.15)3, avec le risque cependant de fausser les rapports sociaux mais aussi de dévoiler la vraie nature de sa pensée à un moment de relâchement inattendu.  Yasmina
Au contraire, les coulisses sont, à l’instar de tous lieux privés, des espaces où les acteurs peuvent se relâcher et tenir un discours différent de celui déclamé sur la scène. Le concept dramaturgique de « SecretCAM » donne au joueur la possibilité de voir et d’entendre en caméra cachée ce que Goffman appelle les coulisses de cette mise en scène sociale. En coulisse, les individus sont tels qu’ils sont, les masques tombent et le serious game met en exergue des réactions non prescrites par la norme sociale pour faire émerger les vraies problématiques.
Mais ce qui est observé dans le jeu pourrait du coup paraître caricatural, car différent de ce qui est exprimé socialement en collectif. Pour autant, c’est ce qui se rapproche peut-être le plus de la réalité de la pensée.
Alors, comment ce jeu est-il perçu par les joueurs ? Le concept de « SecretCAM » affranchit-il ce serious game de la perception d'une forme de caricature ? Une analyse sera proposée dans un article intitulé « Crédibilité du jeu : sauvé de la caricature par l’acceptation d’une expérience de jeu non consensuelle », dans lequel je m’appuierai sur des supports théoriques et les matériaux empiriques relatifs aux exprimés des joueurs remontés des questionnaires, des entretiens d’explicitation individuels et des observations participantes.

Le prochain article, cinquième de la série, porte quant à lui le titre : « Le théâtre forum : un outil collectif d'objectivation des représentations individuelles pour la genèse d'un scénario de jeu ancré dans la réalité ».

Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]
Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.

1 Goffman E., ouvrage, La mise en scène de la vie quotidienne, 1 - la représentation de soi, 2 – les relations en public, réédition aux Editions de Minuit, 1996 (1ère édition 1959, traduction française 1973).
2 Cf. site scienceshumaines.com, article de Xavier Molénat de 2003 « la vie quotidienne mise en scène » : http://www.scienceshumaines.com/la-mise-en-scene-de-la-vie-quotidienne_fr_13012.html
3 Goffman, E., ouvrage, Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Editions de Minuit Paris, réédition 2010 (1ère édition traduite 1975, 1ère édition 1963).

26 novembre 2012

Serious game « SecretCAM handicap » - 3 : « Le game design du jeu »

Par François Calvez

Voir article précédent : Serious game SecretCAM handicap - 2 : "le cadre du retour d'expérience"

Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/
 

1) Préambule

Avant d’étudier les effets du serious game « SecretCAM handicap » sur les représentations sociales du handicap en entreprise chez les salariés, il semble pertinent de prendre connaissance du concept du jeu tel qu’il a été imaginé, chacun des éléments du game design constituant une brique de l’expérience de jeu à vivre, et participant aussi à l’atteinte des objectifs d’apprentissage. Il est en effet nécessaire de pouvoir analyser si un effet limité sur les salariés est imputable à la conception du jeu.

Ci-après, j’expose essentiellement le game design dans sa dimension fonctionnelle. Si certains concepts théoriques issus de la recherche sur les serious games sont abordés, et sur lesquels bien évidemment le jeu s’appuie, je convoquerai plus spécifiquement ceux-ci dans les articles relatifs à l’analyse des effets du jeu sur les salariés.

A noter que des copies d’écran permettront de visualiser la charte graphique de l’interface qui ne fera donc pas l’objet d’un paragraphe spécifique. Je précise que le game design du jeu et le nom "SecretCAM" ont fait l'objet d'un dépôt auprès de l'Institut National de la Protection Industrielle (INPI).

En premier lieu, afin de faciliter la compréhension du propos, un rappel de la définition du game design s’impose.

 2) Définition du game design

Le game design est le concept de jeu, sa grammaire. « Il décrit une histoire, un scénario, un univers, des personnages, une interface (ergonomie), une charte artistique, un game play » (Lavergne Boudier & Dambach, 2010, p.86)1. Le game play correspond à la mécanique du jeu, à sa « jouabilité ». Il définit les règles qui gouvernent les changements d’états dans le jeu, la combinaison de l’action de jeu avec sa conséquence dans la progression dans le jeu et son impact sur les jauges d’évaluation de la performance du joueur. On parle de boucle de game play pour définir, pour chaque action de jeu, l’articulation entre l’objectif du joueur, le défi, et les récompenses en cas de succès.

 3) Descriptif du game design

L'objectif du jeu : proposer une expérience réflexive sur les représentations et les comportements face au handicap au travail, dans le but de les faire évoluer pour favoriser l’intégration de collègues en situation de handicap.

L’univers : Il est réel puisque SecretCAM est un jeu vidéo dont les scènes sont tournées avec des comédiens professionnels. L'univers est celui du service communication d’une petite entreprise française de taille moyenne dont l’activité n’est pas précisée. Le décor des scènes et les personnages sont assez branchés, smart de type sportswear. D’un point de vue temporel, chacune des quatre missions proposées dans le jeu correspond à des jours différents, contrairement aux deux étapes de chaque mission qui se déroulent le même jour.

Les personnages : l’équipe compte six personnes.

AnneTout d’abord le joueur lui-même, au travers de son avatar féminin, Anne. Elle n’intervient qu’en voix off dans le jeu et le joueur est invité à s’identifier à ce personnage. On ne la voit jamais puisque le jeu propose une expérience en « première personne » en caméra subjective. Les yeux d’Anne sont donc ceux du joueur.

Trois collègues dont les personnalités « marquées » correspondent à trois types de comportements stigmatisant le handicap :

SimonSimon (exclusion délibérée) : Le personnage de Simon évolue dans la stigmatisation du handicap par l’exclusion délibérée. Il voit le handicap des autres comme une source d’incompétence et d’inefficacité qui, potentiellement, peut lui générer du travail supplémentaire. Simon n’est pas le mauvais bougre mais il est un peu lourd. Il apprécie la compagnie d’un groupe très restreint d’amis qui lui ressemblent beaucoup et n’est pas attiré par de nouvelles rencontres. Il n’aime pas trop la différence. On peut supposer qu’il n’apprécie pas particulièrement son travail. D’apparence blasée, tout semble lui coûter et s’il peut « se la couler douce », il n’hésite pas. Il est râleur et bougon, il apprécie surtout Yasmina qui lui plait bien.

EmmaEmma (compassion exacerbée) : Emma a besoin de se sentir utile pour les autres. L’équipe a de l’importance pour elle et elle est toujours prête à aider ses collègues. Rendre service aux autres la motive, surtout s’ils sont en difficulté. Les personnes en situation de handicap donnent à Emma l’occasion d’exprimer pleinement ce comportement. C’est une attitude qui est progressivement affirmée dans le jeu et qui va la conduire jusqu’à un comportement de stigmatisation par une relation d’aide de type compassion exacerbée la poussant à vouloir « faire à la place de » plutôt que de « faire avec », et donc jusqu’à l’exclusion. Si parfois elle exalte sa représentation héroïque des personnes en situation de handicap, elle évolue surtout dans une forme de pitié. Etant un des éléments déterminant du scénario et des objectifs d’apprentissage, ce type de comportement, comme les autres d’ailleurs, n’est évidemment pas porté à la connaissance du joueur. Ce dernier le découvre progressivement suivant ses choix d’actions de jeu ainsi qu’à la fin de l’expérience.

YasminaYasmina (indifférence) : assez individualiste, Yasmina représente l’indifférence face au handicap envers lequel elle ne veut pas se poser trop de questions. Pourtant, considérer les personnes en situation de handicap comme les autres ne signifie pas pour autant nier les difficultés auxquelles elles sont confrontées. Mais Yasmina n’en a cure. Pour elle, chacun ses problèmes ! Elle a les siens et ils sont tout aussi importants que ceux des autres. C’est quelqu’un de très franc et pragmatique. Quand on lui confie une tâche, elle va jusqu’au bout, mais attention ! chacun son job, tant pis pour l’esprit d’équipe. Elle apprécie ses collègues, mais sans plus, peut-être un peu plus Simon parce qu’il la charme.

Un quatrième collègue, Jean (en situation de handicap) :

Jeanrécemment embauché, Jean va annoncer rapidement sa situation de handicap physique non visible. C’est quelqu’un qui dégage maturité et sérénité, ainsi qu’une relative confiance en lui. Il n’hésite pas à dire ce qu’il pense face aux réactions de ses collègues concernant son handicap. Il a « galéré » pour retrouver un emploi.

Et un manager en déplacement qui intervient très peu dans le jeu.

Manager 2L’histoire : le service communication fonctionne en mode projet et le manager est en déplacement. Le joueur est mis dans la peau d’Anne, chargée de l’organisation d’un stand sur le prochain salon professionnel auquel l’ensemble de l’équipe devra participer. Tout comme Jean, dont l’arrivée dans l’entreprise date de trois jours, elle a été récemment embauchée dans la société. Tous deux n’ont donc aucun historique ni affect avec les trois autres salariés que sont Simon, Emma et Yasmina. Ces derniers ont par contre entre six à huit ans d’ancienneté dans cette entreprise, ils se connaissent donc bien. Jean a un handicap physique non visible qui n’est pas encore connu ni du joueur, ni des autres collègues, mais qu’il va annoncer dès la première mission du jeu sans apporter ouvertement de précisions quant à ses contraintes d’organisation et ses limites physiques. A aucun moment le jeu ne fera mention de la pathologie, seuls certains éléments seront découverts au fil de l’histoire ainsi que les adaptations du poste de travail nécessaires à la compensation de son handicap. Emma ne sera pas sans chercher à en savoir plus pour se faire la porte-parole de Jean.

L’organisation du salon va demander la mobilisation de l’ensemble des membres de l’équipe, à tour de rôle ou simultanément. Mais la déclaration du handicap de Jean vient quelque peu perturber l’équipe nouvellement reconstituée. Chacun à sa manière, suivant sa personnalité et ses propres représentations sociales du handicap, va se retrancher dans des comportements plus ou moins stigmatisants vis-à-vis de Jean. Le joueur, en tant que coordinateur, va devoir composer, motiver, argumenter, prendre position, afin de mener à bien sa mission d’organisation. Pour le joueur, les personnages du jeu officient comme des miroirs de comportements sociaux observés…voire de ses propres représentations et comportements.

La question du handicap est donc traitée en filigrane, comme un élément parmi d’autres de la vie quotidienne professionnelle auquel l’équipe va être confrontée.

HitchcockLe point de vue, le concept de jeu et la posture du joueur : le concept de secretCAM (caméra secrète) fait référence au thème du « voyeur » d’Hitchcock dans son film « fenêtre sur cour ». Au service de la dramaturgie, ce concept propose au joueur une posture en « première personne » (caméra subjective) en déplacement dans les locaux, ou depuis son bureau face à l’ordinateur. Il découvre un super pouvoir : son prédécesseur avait détourné le système informatique pour connecter son ordinateur aux Webcams de ses collègues sans qu’ils ne le sachent. Il peut donc entendre et voir tout ce qu’ils disent et font, sans être vu ni entendu. L’intérêt de ce concept d’un point de vue traitement des représentations sociales sera exposé dans le prochain article.

 La boucle de game play :

Objectif du joueur : au travers de quatre missions, le joueur doit impliquer l’équipe dans l’organisation du stand tout en limitant son propre « stress » et en garantissant sa « popularité » auprès de ses collègues. Stress et popularité sont les deux jauges de réussite du jeu dont les résultats se cumulent de mission en mission. Pour chaque choix d’action de jeu, les deux jauges sont impactées simultanément, par contre, elles peuvent évoluer de manière opposée (positivement ou négativement). L’objectif du joueur est donc de parvenir à organiser le stand avec des jauges « stress » et « popularité » au maximum positives en fin de jeu. Mais, il est confronté aux comportements de ses collègues face au handicap (exclusion délibérée, compassion exacerbée, indifférence) qui pèsent sur la réussite des missions.

 
Défi interfaceDéfi et actions de jeu : pour atteindre l’objectif proposé à chaque étape le joueur est mis exclusivement en situation de communication avec ses collègues. Pour communiquer, il doit composer avec trois éléments constitutifs de son choix d’action : l’interlocuteur (collègue), le média de communication (mail, téléphone ou webcam), et le contenu du message à adresser. Mais à qui s’adresser pour réussir au mieux en fonction de la personnalité des protagonistes et de l’objectif ? Quels médias choisir sachant que le concept de « caméra secrète » permet au joueur de visualiser la réaction du destinataire lors de l’envoi d’un mail, ou de mettre à nu les différences de comportements verbaux et gestuels avec le choix du téléphone. Ou alors, choisir la web cam ? Avec ce choix le joueur décide de faire fi de son pouvoir pour entrer en communication directe visuelle et verbale…sans caméra secrète. Et le contenu des échanges ? Plusieurs possibilités sont proposées dont la nature est différente. Le joueur doit composer avec ces différents éléments pour faire son choix en fonction de l’objectif qui lui est proposé à chaque étape.

Défi 2La validation d’un choix lance une vidéo dans laquelle sont mis en scène les protagonistes du jeu (un ou plusieurs collègues et l’avatar en voix off pour les choix du téléphone et de la web cam).

JaugesRécompenses et évaluations : à la fin du visionnage de la vidéo, objet du choix du joueur, les deux jauges de jeu « stress » et « popularité » évoluent simultanément chacune positivementou négativement, évaluant ainsi le choix du joueur au regard de l’objectif à atteindre. A noter qu’en début de jeu, le joueur, un peu stressé par sa récente prise de poste démarre avec une jauge stress à 50% rouge. De même, sa cote de popularité est neutre à 50%, ses collègues ne le connaissant pas encore. En fin de mission, des smileys précisent la réussite du joueur pour la mission concernée.

SmileysTrois smileys correspondent aux trois niveaux possibles de résultat : résultat satisfaisant (smiley souriant), résultat moyen (smiley neutre), résultat insuffisant (smiley à triste mine). En fin de jeu, le joueur visualise ses quatre smileys, bilan imprimable de ses quatre missions.

Jokers, rétroaction et matrice de jeu :

Au début du jeu le joueur dispose de trois jokers pour annuler un choix et procéder à un nouveau s’il n’est pas satisfait du résultat de ses jauges. Activer un Jocker a pour effet de remettre les jauges de jeu à leur état précédent. Cette possibilité de rétroaction est essentielle pour l’apprentissage par essai erreur dans un jeu éducatif. En effet, contrairement à une narration linéaire de type cinématographique, le serious game propose une interaction itérative, en rétroaction. Le joueur doit avoir le choix de plusieurs parcours et de revenir en arrière pour explorer différentes pistes, ce qui participe de l’intérêt du jeu. Se pose alors la question de la matrice de jeu. La matrice définit l’arborescence des scènes et la manière dont elles vont s’articuler entre elles. La difficulté a consisté à donner du choix au joueur sans produire un nombre trop conséquent de vidéos. Ce point ne sera pas développé ici.

Information débloquée entouréeDans le jeu, il est possible de gagner de nouveaux jokers. En effet, le visionnage de certaines scènes vidéo « débloque » des informations contextuelles sur le handicap en entreprise, ce qui a pour conséquence de les stocker dans l’espace « information » accessible depuis l’interface principale du jeu.

Ces informations permettent de gagner des Jokers supplémentaires uniquement si elles sont effectivement lues par le joueur. Les débloquer et les stocker ne suffisent donc pas. (ce point du game design vise à inciter le joueur à lire des informations à caractère plus didactique). Disposant de Jokers supplémentaires, ce dernier peut alors explorer de plus en plus de scènes et augmenter ses chances d’améliorer son score.

Séquence pédagogique :

Si un objectif de jeu est clairement exposé pour chacune des missions, ces dernières comportent également un objectif pédagogique relatif aux comportements et représentations sociales du handicap au travail, cette fois-ci non dévoilé au joueur. Pour chaque mission, le jeu propose une posture en première personne articulée selon trois temps :

Seq pedag 11) une vidéo en plan séquence (plan cinéma continu) posant des éléments de contexte, les données du problème et les prises de position des protagonistes.

Seq pedag 2

2) deux étapes de résolution par le jeu : le joueur fait ses choix pour communiquer avec ses collègues et trouver une solution au problème posé.

Seq pedag 33)une vidéo feedback de type évaluation formative en fonction des résultats des jauges de jeu : cette vidéo clôture une mission. Elle permet au joueur de faire le point sur celle-ci et de comprendre précisément, non pas « la solution » comportementale à adopter, mais bien le message principal sur le handicap véhiculé par la mission et favorisant le questionnement réflexif. En effet, si dans un jeu il s’agit de définir si le joueur a gagné ou perdu, face au handicap il n’existe cependant pas « une bonne » solution comportementale. Même si le jeu contextualise des mises en scène, dans la réalité chaque situation est singulière en fonction des protagonistes, de leurs personnalités, de leur expérience individuelle, du contexte socioculturel…De plus, il fallait veiller à ce que le feedback ne revêt pas un caractère de jugement social du comportement adopté par le joueur, ce qui aurait pu avoir pour effet de générer un sentiment de culpabilité pouvant annihiler tout plaisir de jeu. Face à cette complexité, nous avons gardé à l’esprit l’objectif de SecretCAM handicap : proposer une expérience réflexive pour se questionner, et non apporter des solutions, dans le but de tenter de faire évoluer les schèmes de pensées et à termes les comportements.

Ce feedback se traduit par une vidéo en plan fixe, en situation conviviale autour d’un café, mettant en scène un ou plusieurs protagonistes face au joueur. En fonction de l’état des deux jauges pour la mission, le jeu va déclencher l’une des trois vidéos feedback : résultat satisfaisant, résultat moyen, résultat insuffisant. Quel que soit le résultat obtenu, les trois vidéos délivrent un même message unique sur le handicap. Seule diffère la manière dont les protagonistes s’adressent au joueur : félicitations, encouragements, message de re-motivation.

Courbe de difficulté et progression du joueur :

Le jeu monte progressivement en difficulté, à la fois au travers des situations proposées qui demandent de plus en plus de réflexion dans le choix des actions, du nombre de collègues pouvant être sollicités pour une même action de jeu, ou encore de la diversité des médias proposés (souvent les trois – mail, téléphone, et webcam - au fur et à mesure que l’on avance dans le jeu). De plus, en quatrième mission, la conception du scénario fait appel à une matrice de jeu (arborescence des scènes) plus complexe qui ajoute un degré de difficulté pour le joueur.

L’objectif de conception est d’éviter le game over pour permettre au joueur de rester le plus longtemps possible dans le jeu pour être sensibilisé à la question du handicap en entreprise. Aussi lorsque l’une de ses jauges devient complètement négative (jauge stress complètement rouge ou jauge popularité à 0%), le joueur est alors en difficulté pour poursuivre le jeu. Une convocation chez le manager consiste à repêcher le joueur tout en lui apprenant de nouveaux éléments de contenus sur la thématique du handicap en entreprise.

ManagerLe manager lui propose donc un Quiz formatif (questions avec feedbacks explicatifs) de faible niveau de difficulté portant sur le jeu et la thématique du handicap. Une bonne réponse améliore les jauges et redonne même des Jokers dans la mission quatre, plus difficile. Une mauvaise réponse au Quiz donne accès à un second Quiz pour une seconde chance de repêchage. Une nouvelle mauvaise réponse aboutit au game over.

Dans le cas où le joueur réussit très bien le jeu (jauge stress au minimum ou jauge popularité proche de 100%), il est également convoqué pour une entrevue avec son manager, mais cette fois-ci en tant qu’expert conseil sur le thème du handicap en entreprise. Les questions sont d’un niveau plus élevé, une mauvaise réponse a un impact négatif sur la jauge stress. Si le joueur répond correctement, il se voit administrer un second Quiz d’un niveau de difficulté encore supérieur. L’objectif est de « freiner » le joueur, de relancer le défi si le jeu lui semble « trop » facile et de maintenir sa motivation à vivre l’expérience de jeu jusqu’à son terme, tout en apprenant de nouveaux éléments sur le handicap au travail grâce aux feedbacks formatifs des Quiz.

Le prochain article, quatrième de la série, porte sur : « SecretCAM, un concept de jeu pour faire tomber les masques ».

Les contenus du jeu relatifs à la question du handicap et la description des objectifs pédagogiques seront abordés dans l’article 5.

Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]

Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.

1 Lavergne Boudier, V., Dambach, Y., ouvrage, Serious game : révolution pédagogique, Éditions Hermès Lavoisier, Paris, 2010. p.86.

19 novembre 2012

Serious game « SecretCAM handicap » - 2 : le cadre du retour d’expérience

Par François Calvez

Voir article précédent : Serious game SecretCAM handicap - préambule au retour d'expérience
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

1) Perception du handicap en entreprise
Images 4 handicapsLe taux de 6% d’obligation d’emploi de personnes handicapées imposé par la loi de 2005 (loi pour l’égalité des droits et des chances des personnes handicapées) n’est pas atteint dans la plupart des organisations.
L’intégration de ces personnes ne peut se limiter à la seule politique managériale d’une entreprise, elle concerne l’ensemble des salariés, surtout les collègues proches, celles et ceux qui partagent leur quotidien.
Or, selon une étude de 20091, plus de 53% des salariés ne travaillant pas avec des personnes handicapées pensent qu’il leur serait difficile de travailler au quotidien dans leur équipe avec une personne atteinte d’un handicap (entre 53% et 83% selon la nature du handicap).
Ces déclarations vont de pair avec des comportements sociaux souvent fondés sur des préjugés conduisant à l’exclusion de ces personnes.
Face à la stigmatisation et la marginalisation toujours effectives d’une population en situation de handicap dont le taux de chômage est plus élevé que dans la population dite valide, face au faible taux d’accès de cette population à la formation initiale et continue, mais aussi face au vieillissement d’une population salariée qui pose la question du maintien dans l’emploi de personnes confrontées à des maladies professionnelles invalidantes, notre société doit s’interroger.

2) Définition du serious game

Interface et dosLe serious game (jeu sérieux) est une application informatique de re-médiation (Marida Di Crosta, 2009)2 qui permet de réinventer l’apprentissage par le jeu en « combinant une intention sérieuse, de type pédagogique, informative ou communicationnelle, avec des ressorts ludiques inscrits dans un scénario dont la technique et la méthodologie sont issues des jeux de rôles de simulation informatique et des jeux vidéo » (Alvarez & Djaouti, 2010)3.
Le concept vise à rendre plus attrayante la dimension sérieuse d’une problématique par une forme, une interaction, des règles et des objectifs plus ludiques.

3) Pourquoi un projet de serious game sur le thème du handicap ?

Nous observons aujourd’hui un intérêt particulier des entreprises pour le recours aux serious games dans le champ de la formation professionnelle continue à destination de leurs collaborateurs.
Pour changer le regard sur le handicap et « casser la glace » d’un comportement sociétal souvent inhibé, la dimension ludique du serious game semble intéressante à convoquer. Elle peut permettre de parvenir à une compréhension conduisant à dédramatiser, voire « banaliser » la représentation du handicap…sans véhiculer pour autant un sentiment de culpabilité moralisateur ni occulter les difficultés rencontrées par les personnes handicapées.
Or, au démarrage du projet en 2010, aucun jeu sérieux ne traitait de l’intégration des personnes handicapées en milieu professionnel ordinaire. Pour autant, cette problématique est un enjeu majeur, d’un point de vue économique, mais surtout humain et sociétal.
Dans le cadre de sa mission historique de plus de deux cents ans de diffusion des savoirs qui le conduit à s’emparer de questions sociétales, le Cnam peut être un acteur de la réflexion portant sur l’intégration professionnelle des personnes en situation de handicap.
De plus, le Pôle Tice que je dirige au Cnam est un acteur du e-learning depuis 25 ans. Etre au cœur des innovations en matière de TICE est stratégique. Dans le cadre de la recherche appliquée sur les usages du numérique en formation, je suis sensible au recours aux pédagogies ludiques et aux nouvelles formes d’apprentissage. Pour comprendre la pertinence du jeu sérieux dans son rapport aux savoirs, et tenter de déterminer les conditions de réussite d’un tel dispositif pour en envisager la démultiplication, la meilleure approche consistait à monter un projet expérimental englobant création d’un jeu et étude de ses effets sur les joueurs-apprenants.
L’idée du serious game « SecretCAM handicap » a donc émergé. Ce concept de « SecretCAM : caméra secrète » fera l’objet d’une explication dans un prochain article.

4) Finalité du projet, public destinataire, objectif du jeu et posture du joueur

3 pers autour ordiLe projet a pour finalité de contribuer au changement de regard sociétal sur le handicap au travail en milieu professionnel ordinaire, afin de répondre à l’enjeu socio-économique d’intégration et de maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap.
Il s’adresse donc à tous les salariés des organisations publiques et privées : employés, techniciens, cadres, dirigeants, personnels des services RH, managers, …
Outre l’acquisition de connaissances sur le handicap au travail, « SecretCAM handicap » invite le joueur, sans culpabilisation ni esprit moralisateur, à adopter une posture réflexive quant à son regard sur le handicap par la confrontation de ses schèmes de pensée avec ceux convoqués dans le jeu. L’objectif est bien de l’amener à se questionner sur ses propres représentations sociales et ses comportements.
Dans ce jeu, il ne s’agit donc pas de prendre la place d’une personne handicapée pour tenter de mieux comprendre ce qu’elle vit, mais bien de rester soi-même face au handicap d’un collègue, immergé dans un univers d’entreprise certes virtuel mais le plus réaliste possible. Au niveau de l’interface cela se traduit par un jeu en caméra subjective en « première personne » (les yeux de l’avatar sont les yeux du joueur) pour vivre l’expérience « comme si on y était ». Nous y reviendrons.

5) L’atout d’un partenariat multidisciplinaire

Créer un jeu vidéo réaliste sur le handicap supposait d’associer l’ensemble des acteurs impliqués dans le processus d’intégration des handicapées en milieu professionnel ordinaire : personnes handicapées en premier lieu, conseillers d’insertion professionnelle, référents handicap d’entreprises, responsables ressources humaines d’organisations, psychologues et éducateurs spécialistes du handicap…sans oublier scénariste, pédagogue, développeur et game designer.
La dimension multidisciplinaire du groupe impliquant tous les acteurs de la « chaîne de l’intégration » a été un atout pour la création du jeu. En partenariat avec dix-huit structures4, le Cnam Pays de la Loire a porté la production du serious game vidéo « SecretCAM handicap ».

6) Quelle typologie de jeu pour « SecretCAM handicap » ?

« SecretCAM handicap » est un jeu de type LUDUS au sens de Roger Caillois (1958)5, c’est à dire disposant de règles et d’objectifs précis, d’une évaluation des actions de jeu du joueur, et doté d’une fin.
C’est un serious game mono joueur de type ludoéducatif (Edugame) d’une durée moyenne de 40 minutes. Par sa dimension socio-éducative, SecretCAM « se différencie d’un jeu vidéo, les choses faisant sens pour l’utilisateur en interface avec les sciences humaines » (Alvarez & Djaouti, 2010).
Ce serious game  a été conçu à la fois pour une diffusion en ligne sur le web à des fins de sensibilisation du grand public, mais aussi et surtout en tant que support pédagogique pour des sessions de formation à destination de salariés.
S’adressant à un large public, y compris à des personnes dont la pratique du jeu n’est pas habituelle, ce jeu sérieux peut s’apparenter à un jeu occasionnel (casual game) auquel on va jouer une ou deux fois au maximum. Aussi, la mécanique de jeu (game play) devait être simple pour que le joueur puisse se l’approprier très rapidement dès le début de l’expérience de jeu.

7) L’étude sur les effets du jeu : objectif, méthodologie et conditions d’expérimentation

En accès libre sur le Web depuis novembre 2011, le serious game a d’abord été expérimenté par des salariés des structures partenaires, volontairement en dehors de tout dispositif formel de formation.
L’expérience a été conduite majoritairement sur le temps de travail, en individuel depuis le poste informatique ou depuis des ordinateurs mis à disposition dans l’entreprise. Quelques sessions collectives par groupe de trois à quatre salariés ont été organisées, ce qui n’était pas prévu initialement mais s’est avéré fort intéressant en termes d’usage.
La participation des salariés était libre, avec quelques cas « d’injonction » de la part de la direction. Le protocole prévoyait la diffusion du jeu au sein d’un même service, voire de l’ensemble de l’entreprise.
L’étude que j’ai conduite a été de type ethnographique, combinant matériaux empiriques quantitatifs6 (entretiens individuels de qualification du questionnaire en amont de sa diffusion et 173 questionnaires anonymes remontés sur 672 expériences de jeu réalisées) et qualitatifs (11 entretiens individuels d’explicitation7 post expérience de jeu et 2 observations participantes8 lors d’expériences de jeu collectives par groupe de 4 personnes, suivies d’entretiens collectifs).

L’objectif était de conduire une recherche-action sur l’usage du serious game et ses effets en termes d’apprentissage (évolution des représentations, des comportements), d’interactions et de débats interpersonnels spontanés entre salariés sur la question du handicap. Je précise que les résultats et l'analyse de cette étude n'engagent que ma responsabilité et non celle des partenaires du projet de création du jeu.

Le prochain article porte sur : « Le game design du jeu ». Il s’agira de découvrir le concept de jeu «SecretCAM handicap».

Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]
Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire

1 Étude IFOP, Perceptions, regards et vécus des salariés sur le handicap dans l’entreprise, réalisée pour ADIA et Euro RSCG C&O (octobre 2009) : http://www.ifop.fr/media/poll/960-1-study_file.pdf
2 Di Crosta M., Entre cinéma et jeux vidéo : L’interface film, Métanarration et interactivité, Editions De Boeck Université, Bruxelles, 2009
3 Alvarez J. et Djaouti D., Introduction au Serious Game, Editions Questions théoriques, 2010.
4 Cnam des Pays de la Loire (porteur du projet), ADAPEI 44, Agefiph Pays de la Loire, ARMOR, AXIMA SEITHA, Banque Populaire Atlantique, Caisse d’Epargne Bretagne Pays de la Loire, Cap emploi Loire Atlantique, Crédit Mutuel Maine Anjou Basse Normandie, Décathlon, GRDF, Crédit Agricole Atlantique Vendée, IBP, Institut les Hauts Thébaudières (44), L’ADAPT 53, MMA, Petits Pas Pour l’Homme (3PH - 49), SPIE, Vecteur Plus (44)…avec le soutien de la Région Pays de la Loire et de la Cantine numérique Pays de la Loire.
5 Caillois R., Les jeux et les hommes, le masque et le vertige, Editions Gallimard, collection folio essais, 1967 (1ère édition 1958).
6 Le panel des 173 répondants au questionnaire comporte 75,3% de femmes et 24,7% d’hommes (proportion à rapprocher de la composition de la population salariée des organisations partenaires dont est issu le panel). La tranche d’âge des 30-44 ans est la plus représentée avec 45%, contre 32% pour les plus de 45 ans et 23% pour les moins de 30 ans. Les employés sont majoritaires avec 62,2% des répondants, les techniciens et les cadres étant répartis équitablement à hauteur de 18,9%. 9,7% se déclarent être en situation de handicap connue de la direction (pas forcément des collègues, le questionnaire n’apporte pas de précision sur ce point). 73% affirment connaître au moins une personne handicapée dans leur entourage proche. 73% déclarent avoir connaissance de personnes handicapées dans leur entreprise, mais ne pas forcément en avoir pour collègues. 46,7% se considèrent comme joueurs (pas forcément de jeux vidéo) et 53,3% s’estiment non joueurs (pas de différence de genre sur ce point). 36% attestent jouer à des mini jeux gratuits en ligne sur ordinateur ou Smartphone. 32,3% jouent à des jeux vidéo hors Internet et ce chiffre tombe à 20,9% pour ce qui est des jeux vidéo en ligne. Le genre serious game est une typologie de jeu déjà expérimentée par 17,9% des répondants.
7 Entretiens - critères  de choix pour le panel des salariés : volontariat des individus, parité homme-femme, nécessité de faire partie d’un service d’une entreprise où plusieurs collègues ont joué (pour questionner les échanges post expérience de jeu), managers et salariés, personnes handicapées et non handicapées, appartenance et non appartenance à un service Ressources Humaines. Les entretiens ont été menés entre une semaine à deux mois maximum post expériences de jeu, ceci pour faciliter l’analyse des effets du jeu sur les représentations et comportements individuels ainsi que sur les interactions interpersonnelles. Chacun des entretiens a fait l’objet d’un enregistrement audio
8 Afin de recueillir les observables produits immédiatement par l’action de jeu, j’ai adopté une posture d’observation participante périphérique avec deux groupes composés chacun de quatre volontaires, issus cette fois-ci de différents services d’une même organisation (l’appartenance à un même service n’avait pas d’importance dans ce cas, et même, pouvait faciliter une liberté de parole). Les groupes mixaient cadres et non cadres, hommes et femmes, personnes du service RH ou non. Une personne était en situation de handicap non visible non connue des autres membres du groupe. Ces expériences de jeu on fait l’objet d’un enregistrement audiovisuel.
Un entretien collectif enregistré en audio, combinant méthode non directive et démarche d’explicitation a été immédiatement conduit avec chacun des groupes après l’expérience de jeu.
L’ensemble des verbalisations a fait l’objet d’une retranscription littérale respectant l’anonymat.

 

12 novembre 2012

Serious game « SecretCAM handicap » - 1 : préambule au retour d’expérience

Par François Calvez
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

32 081…c’est le nombre de joueurs en ligne sur notre serious game « SecretCAM handicap » depuis sa sortie officielle sur le web il y a un an, le 17 novembre 2011.

Ce jeu vise à changer le regard des salariés sur le handicap au travail. Il doit ainsi permettre de faciliter l’intégration et le maintien dans l’emploi des personnes en situation de handicap.
3Dans le cadre de ma fonction de Directeur du Pôle Tice du Cnam Pays de la Loire, j’ai eu le plaisir de concevoir le projet de création de ce serious game, de le piloter et de participer à la conception du jeu avec mon équipe et l’appui d’un game designer professionnel.
Il est important de préciser que ce jeu est le fruit d’un travail collectif mené avec des personnes en situation de handicap et dix-huit partenaires1 (douze entreprises principalement tertiaires mais aussi industrielles et des associations du secteur du handicap). Cela a permis de garantir un élément essentiel, l’objectivation des représentations individuelles concernant le handicap au travail.
Je vous propose de partager cette expérience au travers de la publication régulière d’une série d’articles sous forme de billets de blog relativement courts pour en faciliter la lecture (diffusion sur : http://cnam-numerique-pdl.typepad.fr/).
Outre un focus sur les éléments essentiels de la conception de ce serious game, j’exposerai les principaux résultats d’une recherche-action sur les effets de ce jeu sérieux sur les salariés. J’ai en effet réalisé une étude en 2012 dans le cadre de mon activité professionnelle et d’un mémoire de Master 2 en Sciences de l’éducation2 intitulé : « serious game et représentations sociales du handicap en entreprise ».
Le prochain article de la série porte sur « le cadre du retour d’expérience ».
A bientôt.

François Calvez - [email protected]
Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.

1 Cnam des Pays de la Loire (porteur du projet), ADAPEI 44, Agefiph Pays de la Loire, ARMOR, AXIMA SEITHA, Banque Populaire Atlantique, Caisse d’Epargne Bretagne Pays de la Loire, Cap emploi Loire Atlantique, Crédit Mutuel Maine Anjou Basse Normandie, Décathlon, GRDF, Crédit Agricole Atlantique Vendée, IBP, Institut les Hauts Thébaudières (44), L’ADAPT 53, MMA, Petits Pas Pour l’Homme (3PH - 49), SPIE, Vecteur Plus (44)…avec le soutien de la Région Pays de la Loire et de la Cantine numérique Pays de la Loire.
2 Master 2 Sciences de l’éducation spécialité «Technologies de l’éducation et de la formation – usages socioéducatifs des TIC». Mémoire soutenu en juin 2012 à l’Université de Rennes 2 sous la direction de Pascal Plantard, anthropologue du numérique.