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18 mars 2013

Serious game « SecretCAM handicap » - 14 : «L’apprentissage intégré : plus facile pour qui connait les codes du jeu vidéo»

"SecretCAM handicap" est un serious game conçu et réalisé par le Cnam Pays de la Loire, en partenariat avec 18 partenaires. Le jeu a également fait l'objet d'une recherche action menée sur la conception et les effets de ce serious game éducatif sur les salariés. Cette publication fait partie d'une série d'articles relatifs aux résultats de cette recherche.

Par François Calvez - Directeur Pôle Tice, Cnam Pays de la Loire

Voir article précédent : « handicap (serious) et plaisir de jeu (game) : SecretCAM handicap, un jeu trop sérieux auquel on ne joue pas vraiment ? ».
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

3 pers ordi 2Nous observons aujourd’hui un intérêt particulier des entreprises pour le recours aux serious games dans le champ de la formation professionnelle continue à destination de leurs collaborateurs. Apprendre en jouant, c’est le propos du psychanalyste Serge Tisseron lorsqu’il rappelle que « l’être humain a inventé le jeu pour apprendre, et il n’apprend bien qu’en jouant » (Tisseron, 2010)1. Pour autant, si la pédagogie par le jeu n’est pas une approche récente en matière éducative, l’usage des technologies issues du jeu multimédia et du jeu vidéo à des fins d’apprentissage n’est pas sans poser de questions en termes méthodologique.
Pour Alvarez et Djaouti (Alvarez & Djaouti, 2010)2, le jeu doit être envisagé comme une démarche pédagogique devant intégrer un scénario de jeu. Comme le fait remarquer Eric Fourcaud (chef de projet Université d’été Ludovia et rédacteur en chef de Ludovia Magazine), interviewé par Alvarez et Djaouti (2010, p.179), le serious game se différencie des dispositifs de formation de type e-learning qui s’appuient essentiellement sur des exposés didactiques, des Quiz et des QCM, par l’existence même d’un scénario de jeu impliquant et mobilisant l’attention du joueur.
C’est d’ailleurs ce scénario ludique, scénario d’interaction comme le souligne André Tricot, qui différencie le serious game des autres applications ludo-éducatives, ces dernières ne disposant que d’une interface ludique (Tricot dans Alvarez & Djaouti, 2010, p.198).
Ce scénario de jeu est partie intégrante de l’ingénierie pédagogique, il est articulé aux objectifs d’apprentissage à atteindre et au scénario pédagogique. Le scénario de jeu et le scénario pédagogique sont donc intimement liés, « le premier sert à motiver, le second sert à apprendre » (Tricot, 2010).
Le défi pour la conception d’un serious game est donc d’intégrer le contenu d’apprentissage dans l’aspect ludique, c’est ce que Fabricatore appelle « la métaphore intrinsèque » (Fabricatore, 2005)3 par opposition à la démarche qui consiste à considérer l’aspect jeu comme une surcouche sans rapport avec le contenu didactique, qu’il nomme « métaphore extrinsèque ».
Cependant, cette imbrication doit être subtile pour que le scénario pédagogique ne s’impose pas au joueur de manière trop consciente, ce qui risquerait de rompre le sentiment d’immersion et de perdre la logique de jeu, et au final de porter préjudice au processus d’apprentissage.
4 pers ordiDans un serious game, il existe donc un équilibre fragile entre activité ludique et activité pédagogique auquel il convient d’être très vigilant lors de la conception du jeu.
En d’autres termes, cela soulève la question de « l’apprentissage intégré » ou « mal intégré » dans un jeu sérieux, sujet traité par les chercheurs Nicolas Szilas et Denise Sutter Widmer du TECFA, de l’Université de Genève, dans une publication intitulée « Mieux comprendre la notion d’intégration entre apprentissage et jeu » (Szilas & Sutter Widmer, 2009)4.
Force est de constater que la grande majorité des écrits des chercheurs internationaux (Kellner, Frete, Habgood…) sur cette question « d’apprentissage intégré dans le jeu sérieux » fait souvent état d’intégration non réussie : « Quand l’utilisateur joue, il n’apprend pas les contenus, et quand il apprend, il ne joue plus ». Nicolas Szilas et ses collègues s’appuient sur les travaux d’Habgood et de ses collaborateurs pour proposer une solution consistant à intégrer les contenus d’apprentissage dans la fiction même du jeu ainsi que dans la mécanique de jeu, mais aucune méthode précise n’est finalement donnée pour y parvenir.
En conséquence, si le couple « apprentissage-jeu » n’est pas impossible, il semble cependant difficile à mettre en œuvre.

Je vous propose ici d’analyser la notion d’apprentissage intégré dans le serious game « SecretCAM handicap » au travers d’un élément de game play relatif à l’intégration dans la mécanique de jeu d’informations didactiques contextuelles sur le handicap au travail (Cf. article 3, le game design du jeu).

Rappelons tout d’abord cet élément de game play : les saynètes vidéo proposées constituent des éléments de contenus relatifs aux comportements face au handicap. En complément de ces scènes, il semblait pertinent de proposer au joueur des informations plus didactiques (aspect règlementaire de la loi de 2005 sur l’égalité des chances, constat en entreprise…), contextuelles en fonction des scènes présentées. Une solution simple consistait à les faire apparaître à l’écran automatiquement au cours de la vidéo pour lecture par le joueur. Cette approche, observée dans beaucoup de modules e-learning plus « classiques » nous semblait s’imposer de manière trop linéaire et passive, et risquait de rompre l’immersion du joueur dans le jeu.
Il s’agissait donc de répondre à la question : « Comment combiner ces informations contextuelles à la mécanique de jeu, en impliquant activement le joueur, pour l’inciter à en prendre connaissance au cours d’une expérience plus intégrée ? ». En d’autres termes, il nous fallait intégrer ces informations au game play.

Voyons comment nous avons procédé en prenant l’exemple de l’objectif pédagogique visant à apprendre des informations relatives à l’aménagement du poste de travail des travailleurs handicapés.

Yasmina1. Dans le scénario, le choix du joueur lance une vidéo dont le dialogue fait état de l’aménagement du poste de travail de Jean, le salarié en situation de handicap.


Information débloquée entourée2. A l’expression des mots clés «aménagement du poste de travail » dans le dialogue, le programme du jeu affiche à l’écran en clignotement « information débloquée ».

 I entouré3. L’information débloquée est alors accessible sur l’interface principale du jeu dans « l’espace information » réservé aux 11 informations à débloquer tout au long du jeu. Le joueur a été tenu informé de cette règle lors du tutoriel de prise en main en première mission.
Information à lire entourée4. A la fin du visionnage de la vidéo en cours, ou à tout moment dans le jeu, le joueur peut décider de se rendre dans l’espace information et cliquer sur l’information débloquée pour la lire.

 Joker 45. La lecture de deux informations a pour conséquence le gain d’un joker supplémentaire, initialement au nombre de trois. Avec plus de Jokers, le joueur peut explorer le jeu et augmenter ses  chances d’améliorer son score en visualisant d’autres scènes qui peuvent débloquer à leur tour de nouveaux Jokers. Ces informations seront également utiles pour répondre aux Quiz du Manager lors de convocations dans son bureau. Il faut donc les mémoriser (Cf. article 3).

Alors, qu’en est-il de cette conception « intégrée » en termes d’usage et d’apprentissage ? Les entretiens individuels d’explicitation et les observations participantes d’expériences de jeu apportent des éléments d’analyse :

- Un tutoriel sur le fonctionnement du jeu est associé à la première mission. La charge cognitive du joueur serait trop importante au démarrage du jeu. Une mission « zéro », pour bien comprendre le fonctionnement du jeu, indépendamment de tout contenu de première mission, aurait été plus judicieux, ce qui d’ailleurs avait été initialement envisagé,
- Les usagers favoriseraient l’action de jeu à la lecture des consignes (bien lire l’énoncé avant de faire un exercice est pourtant ce sur quoi bon nombre de professeurs insistent),
- Beaucoup de ceux qui se disent non joueurs ne semblent pas saisir le principe. Ils cliquent sur le texte clignotant informant du déblocage d’une information, pensant qu’il s’agit d’une zone interactive.
- Les non joueurs de jeux vidéo reproduiraient une expérience de jeu linéaire de type e-learning. Revenir sur l’interface de jeu pour débloquer une information implique de rompre cette linéarité (rupture pourtant recherchée au travers de l’apprentissage intégré).
- Les joueurs de jeux vidéo comprennent assez spontanément le fonctionnement des informations à débloquer, par connaissance des codes de jeux.

Cet exemple met en évidence la complexité d’une articulation entre action de jeu et activité d’apprentissage. Une modification du game play est donc nécessaire pour améliorer la compréhension de cet élément de mécanique de jeu par les usagers, même si les informations contextuelles ne constituent pas l’élément principal du contenu d’apprentissage, l’objectif premier étant surtout de convoquer les schèmes de pensée du joueur pour les confronter à ceux convoqués dans le jeu (Cf. article 7).
Toujours est-il que, pour nous assurer de la prise de connaissance de ces informations par l’usager, ce dernier se voit proposer en fin de jeu l’accès à une page de synthèse des onze informations qui étaient à débloquer. 69% des 173 répondants au questionnaire indiquent l’avoir lue. Mais qu’ont-ils véritablement retenu de cette lecture finale « non intégrée » ? N’auraient-ils pas mieux appris les contenus de ces informations contextuelles en les sollicitant au cours de l’action de jeu comme cela était proposé ?
Car « rendre l’apprentissage plus motivant » et « apprendre en faisant » sont bien deux finalités identifiées par les résultats de la recherche sur la relation entre jeu et apprentissage (Genevois, 2011, p.119)5.

Le prochain article, quinzième de la série, s’intitule « Le plaisir de jeu : une condition pour jouer…et pour apprendre ».

Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]

Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.

Notes et bibliographie :

1 Serge Tisseron, préface ouvrage, Serious game, révolution pédagogique, Lavergne Boudier V. et Dabach Y., Editions Lavoisier Hermes, Paris, 2010 - ou encore dans Introduction au serious game d’Alvarez et Djaouti, 2010, p.196.
2 Alvarez, J., Djaouti, D., ouvrage, Introduction au Serious Game, Editions Questions théoriques, 2010.
3 Fabricatore, C., publication, Learning and videogames : an unexploited synergy, in 2000 AECT National Convention, 2005.
4 Szilas, N., Sutter Widmer, D., publication, Jeux sérieux : conception et usages - mieux comprendre la notion d’intégration entre apprentissage et jeu, actes de l’atelier de la 4ème conférence francophone sur les Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, édités par Sébastien George et Éric Sanchez, Le Mans, 23 juin 2009 :
http://eductice.ens-lyon.fr/EducTice/projets/en-cours/geomatique/telechargement/actesEIAH2009
5 Genevois, S., ouvrage, chapitre, Le jeu en rapport avec l’ordinateur et la culture numérique des adolescents, in Les jeux vidéo comme objet de recherche, sous la direction de Rufat, S., et Minassian H.T., Editions Questions théoriques, 2011. Sylvain Genevois fait état du rapport de 2004 de Kirriemuir et McFarlane sur les travaux de recherche concernant la relation entre jeux et apprentissage. Deux éléments sont avancés : rendre l’apprentissage plus motivant et apprendre en faisant.

Crédits photos : Cnam Service Images et sons.

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