Serious game « SecretCAM handicap » - 4 : « SecretCAM, un concept de jeu pour faire tomber les masques »
Par François Calvez
Voir article précédent : « Le game design du jeu »
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam2.fr/
Comme énoncé dans l'article relatif au game design, d'un point de vue dramaturgique le concept de «SecretCAM» (caméra secrète) fait référence au thème du voyeur du film "fenêtre sur cour" d’Hitchcock. Du point de vue des relations interpersonnelles, ce concept fait référence à la métaphore du sociologue Erving Goffman relative à la théâtralisation des interactions sociales dans la vie quotidienne (Goffman, 1973, 1959)1. Pour Goffman, la vie sociale quotidienne est comme un théâtre avec une scène, ses acteurs, son public, ses coulisses. L’interaction est une représentation où chacun offre au public la représentation de soi, l’image de soi à paraitre pour garder la face et donner bonne impression. Chacun agit en tant « qu’acteur de façon à donner, intentionnellement ou non, une expression de lui-même, et les autres à leur tour, doivent en retirer une certaine impression » (Goffman, cité dans un article de scienceshumaines.com)2. Face au handicap, les normes sociales gouvernent souvent les comportements « politiquement corrects » et conditionnent les interactions sociales. Le rôle de cette « bienveillance sociale » évoqué par Goffman dans son ouvrage Stigmate est « d’adoucir et d’améliorer nos réactions » (Goffman, 1975, 1963, p.15)3, avec le risque cependant de fausser les rapports sociaux mais aussi de dévoiler la vraie nature de sa pensée à un moment de relâchement inattendu.
Au contraire, les coulisses sont, à l’instar de tous lieux privés, des espaces où les acteurs peuvent se relâcher et tenir un discours différent de celui déclamé sur la scène. Le concept dramaturgique de « SecretCAM » donne au joueur la possibilité de voir et d’entendre en caméra cachée ce que Goffman appelle les coulisses de cette mise en scène sociale. En coulisse, les individus sont tels qu’ils sont, les masques tombent et le serious game met en exergue des réactions non prescrites par la norme sociale pour faire émerger les vraies problématiques.
Mais ce qui est observé dans le jeu pourrait du coup paraître caricatural, car différent de ce qui est exprimé socialement en collectif. Pour autant, c’est ce qui se rapproche peut-être le plus de la réalité de la pensée.
Alors, comment ce jeu est-il perçu par les joueurs ? Le concept de « SecretCAM » affranchit-il ce serious game de la perception d'une forme de caricature ? Une analyse sera proposée dans un article intitulé « Crédibilité du jeu : sauvé de la caricature par l’acceptation d’une expérience de jeu non consensuelle », dans lequel je m’appuierai sur des supports théoriques et les matériaux empiriques relatifs aux exprimés des joueurs remontés des questionnaires, des entretiens d’explicitation individuels et des observations participantes.
Le prochain article, cinquième de la série, porte quant à lui le titre : « Le théâtre forum : un outil collectif d'objectivation des représentations individuelles pour la genèse d'un scénario de jeu ancré dans la réalité ».
Merci de votre lecture et à bientôt.
François Calvez - [email protected]
Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.
1 Goffman E., ouvrage, La mise en scène de la vie quotidienne, 1 - la représentation de soi, 2 – les relations en public, réédition aux Editions de Minuit, 1996 (1ère édition 1959, traduction française 1973).
2 Cf. site scienceshumaines.com, article de Xavier Molénat de 2003 « la vie quotidienne mise en scène » : http://www.scienceshumaines.com/la-mise-en-scene-de-la-vie-quotidienne_fr_13012.html
3 Goffman, E., ouvrage, Stigmate, les usages sociaux des handicaps, Editions de Minuit Paris, réédition 2010 (1ère édition traduite 1975, 1ère édition 1963).
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