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14 janvier 2013

Serious game « SecretCAM handicap » - 9 : « Jeu au travail – jeu à domicile : paradoxe et iniquité »

Par François Calvez
Voir article précédent : « Entreprise, jeu et productivité : l’injonction paradoxale du jeu prescrit–interdit ».
Pour accéder au jeu en ligne : http://www.seriousgamesecretcam.fr/

145974_9617Jouer à un serious game au travail suppose l’accès à un ordinateur. Or, suivant le métier et la fonction exercés, les salariés n’en sont pas tous dotés.
Pour autant, la sensibilisation à l’intégration et au maintien dans l’emploi des travailleurs en situation de handicap concerne l’ensemble des salariés d’une organisation, autant les personnels encadrants que les collègues proches, toutes fonctions confondues.
Ceci d’autant plus que l’atteinte du quota de 6% d’emploi de salariés handicapés se traduit, non seulement par une politique d’embauche, mais souvent aussi par une sensibilisation interne visant à inciter les salariés non déclarés et souffrant d’un handicap à se déclarer RQTH (reconnaissance en qualité de travailleur handicapé), y compris, et peut-être surtout, ceux dont la pénibilité du travail est reconnue.

Se pose alors la question légitime de l’accès et de l’équité dans l’accès à un serious game mis à disposition des salariés d’une même entreprise, notamment pour les techniciens, les ouvriers travaillant sur les chantiers.
Malgré le protocole que je préconisais en termes d'expérimentation et qui prévoyait une expérience de jeu sur lieu professionel (afin d'observer les effets du jeu sur les relations interpersonnelles), la solution retenue par les entreprises concernées par cette problématique a consisté à proposer aux salariés non équipés d’un ordinateur sur leur poste de travail, de jouer depuis leur domicile, donc hors temps de travail et bien évidemment sur la base du volontariat. Cette solution semble être effectivement la plus opérante et la plus simple à mettre en œuvre pour toucher cette catégorie de personnels. Elle n’est pas cependant sans soulever quelques réflexions.
Le métier conditionne donc les conditions de l’expérience de jeu, réalisée soit sur temps de travail depuis son ordinateur professionnel (lorsque le salarié en est doté), ce qui relève donc d’une activité rémunérée ; soit sur temps personnel depuis son ordinateur domestique à condition d’en disposer, activité non rétribuée.

Cette observation met en évidence une tendance actuelle de notre société et du management des organisations, à gommer les frontières entre temps professionnel et temps personnel du fait de l’introduction des outils numériques dans les pratiques professionnelles. Souvent, cette situation est observée chez les cadres qui « ramènent » du travail à domicile, pouvant se connecter à tout moment depuis leur Smartphone ou de n’importe quel ordinateur à leur messagerie professionnelle ou à leurs dossiers professionnels.
Le paradoxe dans ce cas, c’est que la proposition de jeu à domicile touche une catégorie professionnelle de salariés, les techniciens et les ouvriers, dont le statut et le métier ne les confrontent habituellement pas à cette situation.

En termes d’observation des pratiques, la population ayant joué à domicile n’est pas assez significative pour en tirer des conclusions (13,9% des 173 répondants au questionnaire) et globalement le protocole de l'expérimentation n'a donc pas été affecté. Toujours est-il qu'une tendance semble conforter les pratiques habituelles selon les catégories socioprofessionnelles. En effet, les cadres restent majoritaires à avoir joué à domicile en pourcentage de leur catégorie (29% d’entre eux), et ce malgré leur possibilité de jouer sur temps de travail. Les employés, majoritaires dans la population observée et équipés d’ordinateur sur leur lieu de travail ne sont que 13,7% à avoir joué à domicile. Les techniciens, quant à eux, sont sous représentés parmi la population ayant répondu au questionnaire. Ils sont très peu à avoir joué à domicile, ceux ayant joué étant équipés d’ordinateurs sur lieu de travail.
Il aurait été intéressant de connaître les pratiques des 672 salariés joueurs du serious game « SecretCAM handicap » dans le cadre de cette expérimentation. Tous n’ont pas répondu au questionnaire. L’analyse de cette question sera creusée dans un avenir proche puisque le concept de « SecretCAM » s’inscrit dans une série de quatre serious games thématiques, faisant tous l’objet d’une analyse des usages et des effets du jeu sur les représentations et comportements.

Une autre réflexion conduit à se poser la question du choix des directions des organisations à proposer une expérience de jeu à domicile alors même que l’ensemble des salariés sont dotés d’un ordinateur professionnel. Est-ce parce qu’il s’agit d’un jeu, même sérieux ? La proposition aurait-elle été formulée dans le cas d’un module e-learning plus classique ? Où est-ce conditionné à la problématique sociétale du handicap qui concernerait plus le citoyen que le salarié ?
Lors de la mise en œuvre de l’expérimentation, l’invocation du salarié-citoyen pour justifier une expérience de jeu à domicile fut évoquée par une entreprise dont la politique handicap n’était pas clairement affirmée. Le service Ressources Humaines craignait de se mettre en « porte-à-faux » face à ses salariés, en procédant à une action « officielle » de sensibilisation interne au handicap, alors même que l’entreprise n’a pas encore de politique clairement affirmée en la matière, même si son taux d’obligation d’emploi de personnes handicapées est supérieur à la moyenne nationale constatée. Une sensibilisation de type citoyenne par une proposition d’expérience de jeu à domicile fut proposée, avec une liberté de jeu sur le temps de travail selon l’accord des managers de proximité.
Dans d’autres structures, ce sont des données techniques internes compliquant l’accès au serious game qui sont à l’origine d’une proposition d’expérience de jeu à domicile.

Quoi qu’il en soit, pour étudier les effets d’un serious game, l’expérience de jeu doit bien avoir lieu. De plus, elle doit avoir lieu sur le lieu de travail, selon le protocole que j’avais proposé, de manière à pouvoir observer si les expériences de jeu suscitent des échanges interpersonnels spontanés entre collègues d’un même service.
Si le contexte de mise à disposition du jeu est un facteur de l’accès, la question de la motivation des salariés à aller jouer à un jeu mis à disposition sur la base du volontariat, en dehors de tout dispositif formel de formation, se pose également.
C’est ce que nous verrons dans le dixième article de la série intitulé : « La prescription entre collègues : un facteur d’émulation collective à jouer dans un même service ».

Merci de votre lecture et à bientôt.

François Calvez - [email protected]
Directeur Pôle Tice (Technologies de l’information et de la communication pour l’éducation et la formation) - Direction des Formations et de l’Innovation - Cnam Pays de la Loire.

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